jumel.sandra (avatar)

jumel.sandra

Journaliste culture et politique

Abonné·e de Mediapart

46 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 septembre 2023

jumel.sandra (avatar)

jumel.sandra

Journaliste culture et politique

Abonné·e de Mediapart

« Club Zero » - Le Péril du jeûne

Pour mieux emmagasiner une information - comme on ingère un bout de gâteau - on peut se raconter une histoire. Jessica Hausner nous conte ici celle de Miss Novak, spécialiste en nutrition et professeure en « Alimentation consciente », elle convainc ses élèves de renoncer progressivement à s’alimenter. « Club zéro » présenté en Sélection officielle à Cannes, sort en salles le 27 septembre.

jumel.sandra (avatar)

jumel.sandra

Journaliste culture et politique

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jessica Hausner, réalisatrice autrichienne renommée, a depuis longtemps conquis la scène cinématographique internationale, et son parcours à Cannes en témoigne. Déjà présente dans la section "Un Certain Regard" avec ses premiers films, "Lovely Rita" en 2001 et le film d'horreur expérimental "Hotel" en 2004, elle a depuis continué à impressionner avec des œuvres telles que "Lourdes" et le drame adapté de Kleist, "Amour Fou". Cependant, ce n'est qu'en 2019 qu'elle a réussi à faire son entrée en compétition officielle à Cannes avec son premier film en anglais, "Little Joe", récompensé par le prix d'interprétation féminine pour Emily Beecham, l'actrice principale.

Illustration 1

Dans l'univers cinématographique de Jessica Hausner, les couleurs et les formes s'entrelacent pour créer une identité visuelle singulière. Ses films se démarquent par une esthétique visuelle soignée, allant des décors aux costumes, où chaque élément contribue à l'atmosphère du récit. Dans "Little Joe", par exemple, les plantes du bonheur se parent de teintes rouges sang qui tranche avec le bleu ciel des blouses, tandis que dans "Club Zéro", le jaune vif des uniformes des élèves contraste avec le marron morne de l'établissement scolaire. Les espaces clos et confinés des salles de classe brisent la profondeur de champ des longs couloirs. L’étroitesse d’esprit qui vient entraver la liberté de penser.

Le cœur du sujet réside dans la quête d'une « Alimentation consciente », prônée par la professeure émérite Miss Novak, spécialiste en nutrition. Elle tente de persuader ses élèves de reprendre le contrôle sur leur alimentation en prônant la frugalité, la sobriété et la santé. Chaque étudiant y trouve une réponse à ses interrogations existentielles : un mode de vie plus sain, un régime pour perdre du poids, une adhésion à l'ascétisme en réponse à l'urgence climatique.

Miss Novak, experte en psychologie inversée, manipule habilement les esprits vulnérables de ses élèves, les poussant à remettre en question le dogme de la nourriture et du consumérisme. Les adolescents, en quête de sens et de reconnaissance, se laissent séduire par cette idéologie présentée comme révolutionnaire. Dans cette période de recherche identitaire, souvent troublée, « l’Alimentation consciente » semble offrir une réponse toute faite et un alignement de valeurs pour ces jeunes, qui aspirent à sauver le monde et à changer le paradigme consumériste.

Illustration 2
© Bac Films

Hausner dresse ainsi un parallèle entre la frugalité prônée par Miss Novak et la naissance d'une nouvelle religion, où le jeûne devient une pierre angulaire de la foi. Les élèves se soumettent volontairement à la souffrance passagère du manque, considérant chaque repas évité comme un pas de plus vers l'excellence et la pureté. L'ensemble prend des allures de rituel religieux, culminant dans le plan final rappelant la Cène, où l'une des élèves survivantes se pose en apôtre de la frugalité.

On identifie aisément la critique de tout dogmatisme et des sectes en général. Mais s’agit-il aussi de critiquer les pratiques religieuses du carême et du ramadan ? Entre les chants "Om", le thé amincissant à l’effigie de Miss Novak, faut il voir en creux une satire incisive d’une mode du véganisme ? Une forme d’éco terrorisme qui priverait un peu plus tôt les enfants de leur avenir que ne menace déjà de le faire l’effondrement ?

"Club Zéro" réinterprète le mythe allemand du « Joueur de flûte d'Hamelin », dénonçant la manipulation de l'innocence par des individus au pouvoir. Avec une identité visuelle aussi puissante, le film laisse une empreinte indélébile dans l'esprit du spectateur, le portant à observer interdit le bout de sa fourchette. Les recherches en neuroscience et les expérimentations sur la mémoire ont montré que le fait de donner une couleur et une texture aux mots permet de mieux les représenter. Pour mieux emmagasiner une information - comme on ingère un bout de gâteau - une bonne technique consiste à se raconter une histoire.

Alors, en bonne marionnettiste experte de la psychologie inversée et de la dystopie comique, Jessica Hausner nous conte l'histoire de deux zones d'influence superposées : celle d'une salle de cinéma et celle d'une salle de classe. Attention à ne pas tout avaler.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.