Aux universités d'été de LFI qui se tenaient à Valence du 24 au 27 août, le dérèglement climatique prend des couleurs réelles. Alors que Jean-Luc Mélenchon donne sa conférence sur la méthode de l'Union populaire, celle du partage du savoir contre l'obscurantisme du libéralisme et de l'extrême droite, les éléments se déchaînent. Les 40 degrés qui accablaient les militants éclatent dans un déluge, illustrant ainsi dans la pratique les discours sur l'urgence de la situation. Dans la soirée du vendredi, le parking et le camping sont évacués, le concert est annulé.
Rien ne viendra pourtant gâcher ces 5 jours d'émulation et de débats contradictoires. Entre les définitions négatives et positives de la feuille de route, les mots d'ordre sont clairs : identifier les ennemis politiques, économiques et sociétaux, analyser les enjeux économiques et écologiques au regard de l'histoire, et proposer une alternative à la fois radicale et désirable.
L'intime est politique
La culture et les récits personnels s'invitent aussi sur la place publique de Château-sur-Isère. Dans l'Amphi Louise Michel, Clémentine Autain présente le film « la Syndicaliste », l'histoire de Maureen Kerney, représentante syndicale chez Areva. Une lanceuse d'alerte, dénonçant la corruption à la tête de l'État violemment agressée chez elle en 2012. Au terme d’une enquête bâclée, Maureen incarnée par Isabelle Huppert est accusée d'avoir mis en scène son agression. La violence institutionnelle de la police et de la justice vient s'ajouter au traumatisme initial. A l’issue de la séance la véritable Maureen Kerney répond aux questions d’un public ému et sidéré. "Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises victimes", affirme-t-elle. Elle soutient que son cas n'est pas isolé, elle a rencontré plusieurs lanceurs et lanceuses d'alerte "brisés". Clémentine Autain a demandé l'ouverture d'une commission d'enquête pour faire la lumière sur les responsabilités politiques dans cette histoire. Dans la salle plusieurs femmes évoquent les agressions qu’elles ont subies. L’une d’elle estime qu’elle a eu "de la chance" : au Canada c’est l’Etat qui poursuit les agresseurs, les victimes sont entendu.e.s en tant que témoins et tout le long de l’instruction la personne agressée est accompagnée d’un.e travailleur.se social.e. La Canadienne compare avec le parcours judiciaire enduré par sa sœur en France, « une double peine » et appelle LFI à s’inspirer du Canada.
Le samedi dans ce même amphithéâtre c’est Mathilde Panot, cheffe du groupe LFI à l'Assemblée, qui cite Annie Ernaux, elle qui avait soutenu Jean-Luc Mélenchon lors de la campagne présidentielle de 2022. "Écrire n'est pas une activité en dehors du monde social et politique. J'ai toujours senti qu'écrire était une manière d'intervenir dans le monde. L'écriture, quoi qu'on en fasse, engage, véhiculant de manière très complexe une vision consentant ou non à l'ordre social, ou au contraire, le dénonçant. Il n'y a pas d'apolitisme au regard de l'histoire littéraire." Médine, face à elle, s'explique sur la polémique dont il a été l'objet et réaffirme son combat contre l'antisémitisme. Pour les artistes, s'engager est périlleux et prendre la parole à une tribune comme celle des LFI les expose aux attaques.
Les liens entre littérature, vie personnelle et politique sont également abordés par Edouard Louis. Celui qui doutait de l'opportunité de parler de responsables politiques dans son livre "Qui a tué mon père" a finalement réalisé qu'il touchait quelque chose de nouveau. Il veut représenter la violence de la politique, celle qui s’est imprimée dans le corps de son père et de sa mère. Il assimile la violence contre les transfuges de classe, les "parvenus" ou les "Rastignac", à la transphobie. "Une haine de ce qui ne reste pas à la place qui lui est assignée." Pourtant, les bourgeois qui s'essaient à l'agriculture ne sont jamais taxés de « traitres à leur classe ».
Tout comme il l'avait fait pour Annie Ernaux lors de la remise du prix Nobel, Emmanuel Macron a tenté de s'approprier le parcours et les analyses d'Edouard Louis dans ses livres. Mais l'auteur lui répond sans détour dans un tweet : "J'écris pour vous faire honte."
Rachel Kéké anime quant à elle une table ronde sur la sous-traitance en tant que maltraitance. On y apprend qu'à l'issue de la lutte des femmes de ménage de l'hôtel Ibis des Batignolles, après 22 mois de grève, elles ont dû encore lutter pour obtenir un contrat respectant le protocole. Lors de la grève, les pressions venaient aussi des grands syndicats nationaux, qui sont allés jusqu'à appeler les maris des femmes grévistes. Rachel Kéké représente cette lutte sociale qui s'invite dans l'hémicycle.
Guerre des mots
Sur les terrains de l'écologie et du féminisme, les chercheurs redéfinissent les termes du débat pour quitter le champ lexical libéral. Il s’agit de réaffirmer la lutte des classes et la nécessité du rapport de force. La violence politique s’exerce aussi dans des concepts qui invisibilisent le travail, l’urgence climatique ou les inégalités.
Pas d'écologie sans décroissance, affirme un panel d'économistes, dont Cédric Durand, qui confirme le consensus académique sur la corrélation entre la croissance et le dérèglement climatique. La décroissance est non seulement indispensable, mais elle est aussi désirable. Il faut changer les imaginaires pour sortir du paradigme de la croissance, réaligner l'emploi sur la pyramide des besoins, et décroître dans les secteurs énergivores et superflus.
Pour Anne Laure Delatte, chercheuse au CNRS, il n'y a pas de problème de dette, comme elle le démontre dans son essai "L'État droit dans le mur" aux éditions Fayard, retraçant l'histoire de la dette publique depuis l'après-guerre et déconstruisant ce chantage de la dette, ce carcan européen des 3% de déficit, jamais respecté mais systématiquement brandi. L'économiste de l'État social, Michael Zemmour, lui emboîte le pas pour dénoncer la politique "des caisses vides" : en renonçant à certaines taxes, le gouvernement réduit le budget et pratique une austérité implicite.
Sur le terrain du féminisme, un panel de chercheuses et d'autrices retracent les dominations de classe qui se joue dans les inégalités hommes-femmes. Le risque est comme souvent de se faire confisquer le féminisme par le néolibéralisme. Or l'invisibilisation du travail gratuit est avant tout le résultat du capitalisme. La sociologue Maud Simonet cite Fédérici : "Ce n'est pas du travail, c'est de l'amour", une manière pour le patriarcat de redéfinir et dépolitiser le travail domestique des femmes.
Mélenchon résumera : "Il n’y a pas de différence entre questions sociales et sociétales. Tout est une question d’égalité, d’égalité des humains quels que soient leurs religions, genres ou origines." La menace d’extrême droite point partout en Europe, en Italie, en Espagne, en France. Elle s’incarne pour les Insoumis dans la personne de Gérald Darmanin. L’objectif des élections européennes est d'arriver en tête devant Marine Le Pen et Emmanuel Macron, mais cela ne pourra se faire que dans l’Union de la Nupes. Ségolène Royal, de passage aux Amfis, se propose de mener cette union. LFI avait proposé la tête de liste à EELV, mais Mélenchon soutient cette initiative de l’ancienne candidate PS, pourvu que l’union se fasse.
Conjuguer amitié et politique
Dans un débat rassemblant les différentes forces de la Nupes pour un "nouveau souffle", les différents porte-parole ont défendu cette union, arrachée l’an dernier au bout de 12 longues journées et nuits de négociations. Cependant, c'est au niveau de la base que ça coince. Le PC est à 60% opposé à l’Union pour les élections européennes, de même pour le PS. Sandrine Rousseau l’affirme aussi : "À titre personnel, ça me remue les tripes qu’on ne fasse pas l’union. Mais les lignes séparatistes sont omniprésentes à EELV."
Geoffroy de Lagasnerie était aussi au rendez-vous des universités d'été, lui qui fustige l'amour et la famille qui « rendent toujours malheureux ». Les divorces, les féminicides en attestent. Le sociologue et philosophe cherche à réhabiliter l'amitié comme valeur centrale de nos vies. Il détient peut-être la solution pour la Nupes. L'union délicate devrait renoncer à fusionner dans une grande famille politique. Se maintenir dans des amitiés "généreuses et transitives" qui n'enlèvent à chacun ni son individualité, ni sa liberté.