I. Histoires de dettes.
Rien ne vient jamais du néant dans le monde des humains, surtout pas dans le domaine monétaire et financier.
Les Grecs ont donc ressorti une pratique multiséculaire, celle que les rois et les empereurs utilisaient quand ils ne pouvaient plus étrangler les populations avec des taxes et des impôts en hausse constante.
Ils se tournaient alors vers les riches propriétaires fonciers et les gros commerçants internationaux pour exiger d’eux un renouvellement « perpétuel » de leurs dettes, sous la menace d’une saisie de leurs biens.
- La créance est un « crime ».
Le pauvre Jacques CŒUR (1395 ?-1456), premier « bourgeois » de Bourges, aurait dû lire ce préliminaire plutôt que de faire confiance à CHARLES VII à qui il avait rendu de grands services financiers en tant que argentier, puis conseiller du roi.
Très jalousé pour sa fortune colossale, acquise dans ses transactions commerciales avec le LEVANT, il fut accusé de nombreux crimes, dont celui d’Agnès SOREL sa protectrice, par ses nombreux débiteurs mais d’abord par CHARLES VII lui-même.
Ce dernier profita de ce climat délétère pour accuser Jacques CŒUR de "crime de lèse-majesté" : cette condamnation suprême le conduisit en prison, dépouillé de tous ses biens par « son » roi, mais ce fut une aubaine pour tous ses débiteurs qui multiplièrent leurs accusations et procès pour échapper à leurs dettes.
Le 29 mai 1453, il échappa à la mort sur un échafaud en s’engageant publiquement à payer au Roi une amende de 400.000 écus. De nos jours, il faudrait rassembler 1.388 kg d’or pour payer cette amende (environ 50 millions d’euros) mais, en pouvoir d’achat, les actifs réels correspondants s’élèveraient probablement à plus de 50 milliards d’euros actuels. Grâce à des complicités, il réussit à fuir le royaume de France pour rejoindre le Pape Nicolas-V.
- La dette est une « faute ».
Le contre-exemple est celui de Guillaume III de la maison Orange-Nassau qui contrôlait les Provinces-Unies (les Pays-Bas en version large), l’Ecosse et l’Angleterre.
Devenu roi d’Angleterre en 1689, grâce à un mariage de « réconciliation » avec Marie II d’Angleterre, il a engagé une guerre maritime contre Louis XIV en s’alliant avec Léopold 1° du Saint Empire germanique et en s’équipant d’une flotte invincible composée des bateaux anglais et hollandais, les meilleurs de l’époque. Louis XIV prit le dessus avec ses conquêtes terrestres et lui imposa le traité de RYSWICK en 1697 tout en le reconnaissant Roi d’Angleterre.
Les caisses étant vides, il demanda un prêt de 1.200.000 livres aux riches commerçants londoniens qui créèrent un consortium privé et exigèrent le monopole de création de la monnaie avant de les lui prêter : la Bank of England (BoE) est donc née en 1694, rompant avec une tradition plusieurs fois millénaire de ce droit régalien (pouvoir du roi) de "battre monnaie".
Le système de la Banque Centrale d’Angleterre, privatisée, a bien été interrompu, puis « définitivement » rétabli avec le Traité de Maastricht qui prive les rois et les peuples du pouvoir de création monétaire : la dictature de la Haute Finance a gagné.
- La dette est restée « une faute » ? Mais la faute à qui ?
A l’histoire de l’Allemagne, bien sûr, et surtout à celle de la République de WEIMAR qui, dès 1922, accéléra l’inflation en créant de la fausse monnaie, une pratique à laquelle nous n’échappons pas aujourd’hui, avec la gestion hasardeuse de Mario DRAGHI. Pour sa défense, il hérita de la gestion (désastreuse) de J.C TRICHET (notre livre II, publié en janvier 2008, donc bien avant la crise) mais le silence s’impose.
En préambule, nous disions que « Rien ne vient jamais du néant dans le monde des humains, surtout pas dans le domaine monétaire et financier » : dans la langue allemande, « la dette est une faute ».
Schuld (faute) et Schulden (les dettes) sont philosophiquement ancrés dans la mentalité des élites allemandes qui, eux, peuvent s’endetter… mais pas le peuple.
- Avec le Traité de Maastricht, et la création d’une BCE « indépendante », la dette est devenue « un droit » (pour quelques-uns).
Nous voilà donc passés sous la coupe de faux monnayeurs, réfugiés dans deux tours immenses de plus de 1.200.000.000€ à Francfort sur Main.
Or, Francfort est la capitale de la Haute Finance allemande, assise sur le volcan le plus dangereux de la planète, celui des produits dérivés qui sont des assurances contre des risques divers de hausse ou de baisse de : cours de change, de taux d’intérêt, de cours de bourse, de cours des Bons d’Etat, de cours des matières premières et des métaux précieux… Problème ? Comme pour les catastrophes naturelles, les assureurs sont les abonnés absents en cas de pépin : ils encaissent les primes pendant toute une vie, et même des surprimes dans certaines régions, mais c’est l’Etat qui paie en cas de gros pépin. Ce fut le cas en 2009 et 2010, avec l’effondrement des marchés américains, mal encaissés par la Haute Finance européenne.
Cet échafaudage des assurances-risques, qui sont elles-mêmes couvertes par d’autres assurances, aurait conduit à l’effondrement des mêmes banques en 2009 si la BCE et l’Union Européenne n’avaient pas évité la levée de ces contrats de couverture. En clair, les assureurs ont réussi à négocier pendant plus d’un an pour faire endosser leurs dettes par les Etats, donc par les peuples. A ce jour, l’opération de sauvetage a coûté plus de 3.000 milliards d’euros aux peuples de la seule zone euro, et ce n’est pas fini puisque les mêmes pratiques et les mêmes contrats représentent toujours la même menace de dépôt de bilan pour l’ensemble du système monétaire et financier.
On comprend mieux pourquoi les Allemands et les Français ont donné leur accord à la BCE pour organiser un tsunami de liquidités de plus de 1.080 milliards d’euros dès le mois de mars 2015 (60 milliards par mois pendant au minimum dix-huit mois), destiné à empêcher une remontée des taux d’intérêt en Europe.
Ce que personne n’a compris, c’est que l’opération est surtout destinée à sauver les Etats-Unis de la déroute fatale car la BCE a sûrement conclu des accords de swap pour combler l’immense déficit de leur balance des transactions courantes. Sans ce montage, il n’y aurait aucune raison objective de constater une baisse de l’euro par rapport au dollar.
Pour mémoire, en mathématiques, quand on parle de « dérivée », on parle bien de « dérivée première » qui correspond en physique à la « vitesse » tandis que la « dérivée seconde » correspond à l’accélération.
Or, le plus mauvais automobiliste l’apprend souvent à ses dépens, quand les virages s’enchaînent, il n’est jamais bon de garder une vitesse élevée, et encore moins d’accélérer.
C’est exactement ce que fait le SEBC, chapeauté par la BCE, sous le contrôle « rigoureux » de la Haute Finance allemande.
II. Bases mathématiques: le Rente Perpétuelle.
- Définition de base.
La "dette perpétuelle" vient d'un concept mathématique de "rente perpétuelle" qui conduit à un concept bien maîtrisé de la valeur d'une action, d'une obligation ou de toute autre "rente".
En effet, à condition que les « rentes » (dividendes, coupons, loyers) soient identiques durant une très longue période, la valeur du support financier ou de l'actif réel, sur du très long terme, correspond à une suite infinie de rentes identiques (dans le cas présent).
Mathématiquement : V0 = a / i
Prenons un exemple :
- Vous êtes tenté par l'achat d'une obligation de l'Etat grec, et vous recevez une garantie internationale pour l'encaissement d'un coupon annuel ou d'une « annuité » (« a » dans la formule).
- La valeur faciale de l’investissement proposé est de 100€.
- Vous voulez savoir à quel prix « V0 », vous pouvez (en temps zéro) acheter ce Bon Etat grec pour placer vos économies ?
Grâce à cette garantie internationale, vous pouvez en déduire deux choses :
- Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles : vous encaisserez « à vie » cette annuité ou cette rente perpétuelle.
- Vous n’êtes pas protégé contre tous les risques pour autant.
- Chaque année, vous voudrez donc encaisser une somme d’argent qui vous permettra de vous « rassurer » au fil des années. Vous voudrez donc encaisser une « annuité » qui tienne compte de ce risque particulier
- Problème : quel est le risque ?
Il faut définir le niveau de risque de cet « investissement » et, pour ce faire, vous devez prendre une référence.
Quel risque « vaut » un Bon Etat grec - avec le soutien du FMI - par rapport à un Bund allemand - sans ce soutien - ?
Quand les "Bunds" allemands se traitent à 2,0% (annuité = 2,00€), en fait vous prêtez de l'argent à l'Allemagne pendant 50 ans avant de retrouver votre « liquidité perdue ».
Autrement dit, si le "Bund" vaut 100 euros au départ, sa valeur intrinsèque correspond au versement de 2,00€ pendant 50 ans.
Donc, pourquoi n’accepteriez-vous pas un coupon de 2% en achetant un Bon Etat grec, garanti par le FMI ?
Dans ce cas, la valeur de ce Bon Etat grec, en rente perpétuelle, vaut V0 en valeur en temps = 0 ou en valeur d'aujourd'hui.
Pour un "taux d'intérêt = i = 2%,
V0 = 2,00€ /0,02 = 100,0 €
V0 = 2,00€ X (100 / 2) = 100,00 €
C’est le raisonnement mathématique.
Quels sont les biais de ce raisonnement "grec" ?
- Le premier biais, c'est l'échéance de la dette.
Dans le cas du "Bund" allemand, l'Etat vous remboursera votre capital dans dix ans ; dans le cas grec, en dette perpétuelle, ce capital ne vous sera jamais remboursé.
Pour le Bund allemand, vous encaisserez finalement :
(2€X50 ans) + 100€ (remboursement du Bund à l'échéance).
Et cette échéance est connue : c'est dans dix ans… et non pas "jamais".
- Le deuxième biais, c’est l’inflation.
Or, la valeur V0 de ce versement initial de 100€, récupéré dans dix ans, peut se calculer en fonction du taux d'inflation (à estimer) qui va pénaliser le pouvoir d'achat de ces 100€ récupérés dans dix ans.
Un autre concept mathématique s'applique : c'est le taux d'actualisation qui s'applique à une "suite mathématique".
Si vous estimez que l'inflation sera de 0%, pas de problème : le dénominateur commun de tous ces flux annuels = (1+ i) = (1+0%)^n = 1
Donc, la valeur du Bund = 2€/1+2€/1+2€/1+2€/1+2€/1+2€/1+2€/1+2€/1+2€/1+2€/1+100€/1 = 120€
Mais si l'inflation prévue est de 2%,
la valeur du Bund = 2€/(1+0,02)^1+ …+ 2€/(1+0,02)^10 + 100€/(1+0,02)^10 = 100,00 €.
Autrement dit, votre rente sera nulle en valeur « pouvoir d’achat ».
- En clair, l’inflation est loin d’être neutre.
La valeur V0 du Bund allemand avec un taux d'inflation = 0%: V0 = 120,00 €.
La valeur V0 du Bund allemand avec un taux d'inflation = 1%: V0 = 109,47 €.
La valeur V0 du Bund allemand avec un taux d'inflation = 2%: V0 = 100,00 €.
La valeur V0 du Bund allemand avec un taux d'inflation = 3%: V0 = 91,47 €.
III. Que vaut la proposition grecque des remboursements indexés sur la croissance ?
Il suffit de reprendre les formules mathématiques, développées ci-dessus.
En clair, l’inflation est loin d’être neutre.
La valeur V0 du Bund allemand avec un taux d'inflation = 0%: V0 = 120,00 €.
La valeur V0 du Bund allemand avec un taux d'inflation = 1%: V0 = 109,47 €.
La valeur V0 du Bund allemand avec un taux d'inflation = 2%: V0 = 100,00 €.
La valeur V0 du Bund allemand avec un taux d'inflation = 3%: V0 = 91,47 €.
Donc, si la croissance grecque passe de -10% à +0%, les créanciers attendront.
Si elle passe de 0% à +5%, la croissance évoquée par les Grecs serait une croissance à prix courant.
Or, l’inflation joue un rôle déterminant dans le dénominateur des flux annuels.
- Et, donc, les Grecs « inventent » la DETTE PERPETUELLE.
Ils comptent sur la béatitude des créanciers :
- ils ne veulent jamais rembourser le CAPITAL ;
- et ils promettent des versements aléatoires, qui nécessairement seront grevés par l’inflation.
- Evidemment, l’histoire se répète : la dette est aussi « un risque »... pour les prêteurs.
La dette est « un risque » pour les créanciers… quand la créance est importante et quand les représailles sont peu probables.
Les banquiers le savent : ils encaissent les revenus et les plus-values (ils les privatisent) quand tout va bien mais ils refilent leurs pertes aux peuples (ils les socialisent) quand tout a mal, sous le prétexte qu’ils sont trop gros pour faire faillite (« Too big to fail »).
IV. Conclusion.
La dette peut être « un crime », « une faute », « un droit »….
Tout dépend du rapport de force.
Et ce rapport de force n’est pas favorable aux Grecs.
Ils peuvent reprendre les concepts les plus sérieux, du style de la « rente perpétuelle », pour essayer de faire avaler des couleuvres à la Haute Finance mais ils ne font pas partie des « faussaires légalisés ».
Sauf que la dette est aussi « un risque » pour les créanciers eux-mêmes qui ont bâti un « marché des produits dérivés » qui peut, du jour au lendemain, leur exploser (une fois de plus) à la figure.
« Une fois de plus », ce sera aussi « une fois de trop » car les Etats se sont littéralement suicidés en voulant « sauver les banques », mais en l’occurrence ils ont surtout sauvé les assureurs en donnant leurs garanties à la BCE pour que celle-ci rachète les Bons d’Etat de tous les pays qui les avaient enrichis avec des « coupons » très avantageux.
Avec Mario DRAGHI, le risque est ailleurs : des milliers de monnaies ont disparu, quasiment du jour au lendemain, victimes de leur abondance, et l’euro n’échappera pas à l’éternelle sanction de l’Histoire.
C’est exactement ce que j’écrivais dans les livres I (page 202), « l’euro est typiquement une monnaie brûlante, trop facile à ramasser, qui détruit des richesses par le biais des multiples marchés de la spoliation ».
Le « drame grec » est finalement accessoire : aucun peuple ne remboursera des dettes qui ne sont pas les leurs.
Il faut juste attendre que les fruits tombent de l’arbre : le temps joue contre la Haute Finance.
J.M
ALTER-EUROPA
Pour une Autre Europe…
Et (bien sûr) pour un Autre Euro…