Pourquoi le traitement de la question climatique dans les programmes de SES au lycée n'est pas satisfaisant ?
par Jean-Yves Mas, professeur de SES.
Les questions environnementales sont désormais hélas au cœur des préoccupations des sociétés contemporaines et l’actualité ne fait chaque année que confirmer les prévisions les plus alarmistes des experts sur ce sujet. Or ces questions font l’objet d’un traitement très critiquable dans les programmes de terminale de S.E.S. au lycée.
En effet, les questions environnementales sont abordées à deux reprises dans ces programmes. A la fin du premier chapitre consacré à la croissance économique, les élèves doivent comprendre « qu’une croissance économique soutenable se heurte à des limites écologiques (notamment l’épuisement des ressources, la pollution et le réchauffement climatique) et que l’innovation peut aider à reculer ces limites ». Puis dans un second chapitre, (qui n’est obligatoire qu’une année sur deux depuis la réforme du bac), intitulé « Quelle action publique pour l’environnement ? », les élèves doivent « - Savoir identifier les différents acteurs (pouvoirs publics, ONG, entreprises, experts, partis, mouvements citoyens) qui participent à la construction des questions environnementales comme problème public et à leur mise à l’agenda politique). - Connaître les principaux instruments dont disposent les pouvoirs publics pour faire face aux externalités négatives sur l’environnement : réglementation, marchés de quotas d'émission, taxation, subvention à l’innovation verte ; - Comprendre que ces différents instruments présentent des avantages et des limites, et que leur mise en œuvre peut se heurter à des dysfonctionnements de l’action publique ; - Comprendre qu’en présence de bien commun les négociations et accords internationaux liés à la préservation de l’environnement sont contraints par des stratégies de passager clandestin et les inégalités de développement entre pays » ( site éduscol-éducation).
Comme on peut le voir, à aucun moment n’est évoquée l’origine des fameuses externalités négatives liées à la croissance économique, pas plus que les inégalités des populations face aux risques climatiques. Or, d’après le rapport de Lucas Chancel ( 2021) « les 10 % des individus les plus émetteurs au monde ont généré 48 % des gaz à effet de serre émis en 2019 ; les 1 % les plus émetteurs dans le monde étaient à eux seuls responsables de 17 % des émissions cette année, tandis que la moitié la moins émettrice de la population mondiale était à l’origine de 12 % des émissions mondiales » (cité par Martin Anota, Alternatives Économiques, 23/21). Les questions liées à la justice et aux inégalités climatiques ne sont donc pas abordées dans les programmes de SES.
L’analyse des instruments des politiques climatiques pose aussi question. Les avantages et les inconvénients de ces principaux instruments sont certes évoqués mais aucun de ces instruments ne semble visiblement satisfaisant puisque les élève doivent apprendre que « leur mise en œuvre peuvent se heurter à des dysfonctionnements de l’action publique ».
Il n’y a visiblement pas grand-chose non plus à attendre de la coopération internationale puisque les « négociations et les accords sont « contraints par les stratégies et les inégalités des états ». « L’innovation technologique » est donc la seule solution au changement climatique envisagée dans ces programmes ; innovation que les programmes de SES considèrent par ailleurs comme « endogène » et donc liée au rythme de la croissance économique. Les élèves en SES apprennent donc que la croissance économique est certes à l’origine du réchauffement climatique, mais que seule une croissance encore plus forte peut permettre d’en limiter les effets. Seule la thèse de ce que les économistes appellent la « soutenabilité faible » est donc présente dans les programmes de SES.
À aucun moment la « sobriété énergétique », les « petits gestes », ou « la consommation éthique » ne sont évoquées comme solutions possibles à ces questions, pas plus bien sûr que la remise en cause du consumérisme ou du productivisme. Quant à la théorie de la décroissance, les élèves n’en entendront pas parler, tout simplement parce que M. Philippe Aghion, professeur au Collège de France qui a dirigé le groupe d’experts responsable de la rédaction des programmes de SES, n’y est pas favorable comme il l’affirme dans un article paru dans les Échos (19/5/2022) et dans lequel il reconnaît ouvertement avoir rédigé ces programmes pour lutter contre les idées de Jean-Luc Mélenchon. Dans cet article il estime, en effet, que « l’ idée que la décroissance est la solution au défi climatique est une idée fausse car miser sur la décroissance, c'est proposer un retour permanent au premier confinement, avec les effets psychologiques désastreux que l'on sait et qui s'ajoutent aux coûts économiques considérables. La seule alternative est celle de l'innovation verte et d'une transition énergétique économiquement viable, or Mélenchon propose de renoncer au nucléaire en fermant les centrales existantes et en abandonnant la construction de nouveaux EPR ». On l’aura compris, d’après Philippe Aghion, la croissance économique et l’innovation sont donc les seules solutions aux questions environnementales. Paradoxalement M. Aghion reconnaît pourtant que la décroissance dont il propose une version très caricaturale, peut être une solution à la crise climatique, puisque les émissions de CO2 ont baissé pendant le confinement.
Et tant pis si, sur ces questions, l’ensemble des économistes sont loin d’être tous d’accord, l’essentiel, c’est que les programmes de SES soient donc conformes à la doxa libérale. On se demande même si la mise en place des politiques climatiques par les pouvoirs publics sert à quelque chose, puisque seule la croissance et l’innovation, et donc les entreprises et le marché, peuvent sauver la planète.
Le traitement des questions environnementales et climatiques dans les programmes de SES est donc partial et orienté. Il ne respecte pas le principe de la neutralité axiologique des programmes scolaires pourtant réaffirmé dans le préambule de ces mêmes programmes. Ce principe de neutralité axiologique, n’est pas non plus respecté par l’Éducation Nationale lorsqu’elle confie la formation des enseignants sur les questions environnementales à l’Institut de l’Entreprise (I.D.E.) un think-thank patronal qui défend l’intérêt des grandes entreprises.
Les chapitres consacrés à l’environnement dans les programmes de SES doivent donc être revus de toute urgence afin que les élèves puissent percevoir l’ensemble des enjeux liés à ces questions, puisque que ce sont eux qui seront les premiers concernés par les conséquences dramatiques du réchauffement climatique.