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Billet de blog 9 septembre 2024

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Aménagement des programmes de S.E.S en terminale : allégement ou appauvrissement ?

Les programmes de S.E.S vont être allégés cette année au détriment de la formation des élèves. Au final, ces allègements vont surtout se traduire par l’appauvrissement des contenus enseignés en S.E.S. et par la remise en cause du rôle joué par cette discipline dans la formation à la citoyenneté et le développement de l’esprit critique.

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Aménagement des programmes de S.E.S en terminale : allégement ou appauvrissement ?

Décidément, les professeurs de S.E.S. ne sont jamais contents : après avoir protesté, via leur association l’A.P.S.E.S. (Associations des Professeurs de S.E.S.)[1], contre la lourdeur des programmes de terminale l’an passé, ils protestent désormais contre leurs allègements prévus pour la rentrée 2024[2].

L’inspection des S.E.S. a annoncé en effet la suppression de 3 chapitres sur 12. Il s’agit donc d’un allégement conséquent, mais problématique, car les chapitres supprimés étaient parmi les plus intéressants des nouveaux programmes de SES.

Le premier chapitre supprimé, intitulé « Comment expliquer les crises financières et réguler le système financier ? », permettait d’étudier l’origine des crises financières et la façon dont ces dernières pouvaient se transformer en crises économiques. Il comportait l’étude de mécanismes assez complexes pour des élèves de terminale, mais permettait quand même de souligner les limites de la globalisation financière.

Dans le second chapitre, « Quelle est l’action de l’École sur les destins individuels et sur l’évolution de la société ? », les élèves étudiaient les liens entre origine sociale et réussite scolaire, ce qui les amenait à s’interroger sur les principes de la méritocratie scolaire. On pouvait par ailleurs aborder dans ce chapitre les thèses de la reproduction de Pierre Bourdieu.

Enfin, dans le troisième chapitre, « Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la justice sociale ? », les élèves étudiaient l’intérêt et les limites des outils dont disposent les pouvoirs publics pour favoriser la justice sociale et lutter contre les inégalités sociales.

Ces chapitres auraient pu être réduits ou intégrés à d’autres chapitres. Rien ne justifie donc qu’ils soient purement et simplement supprimés. Au final, ces allègements vont surtout se traduire par l’appauvrissement des contenus enseignés en S.E.S. et par la remise en cause du rôle joué par cette discipline dans la formation à la citoyenneté et le développement de l’esprit critique.

Si l’inspection des S.E.S.  et M. Philippe Aghion, professeur au Collège de France et responsable de la réforme des programmes de 2018, avaient vraiment voulu amender ces derniers, ils auraient pu revenir sur la façon dont la lutte contre le réchauffement climatique y est abordée[3] ; question qui a même donné lieu à l’organisation d’un colloque par l’A.P.S.E.S. à l’université Paris-Dauphine en mars 2024[4]. Le programme officiel, comporte certes un chapitre consacré à « L’action publique pour l’environnement » mais dans ce chapitre, ce sont surtout les limites des politiques climatiques qui sont abordées.

De même, dans un chapitre consacré à la croissance économique, les élèves doivent « Comprendre qu’une croissance économique soutenable se heurte à des limites écologiques et que l’innovation peut aider à reculer ces limites ». La solution à la crise climatique passe donc principalement par l’innovation technologique et non par la remise en cause de nos modes de production et de consommation. À aucun moment, le dogme productiviste n’est remis en question ; les enjeux liés à la sobriété énergétique, à la décroissance ou à un mode de vie plus soutenable ne sont actuellement jamais évoqués dans les programmes de S.E.S.

Cette absence s’explique car selon Philippe Aghion : « Miser sur la décroissance, c'est proposer un retour permanent au premier confinement, avec les effets psychologiques désastreux que l'on sait et qui s'ajoutent aux coûts économiques considérables. La seule alternative est celle de l'innovation verte et d'une transition énergétique économiquement viable »[5]. 

Cette apologie de l’innovation était déjà au cœur de sa leçon inaugurale au Collège de France, à propos de laquelle un de ses collègues notait dans le Monde le 8/10/2015 : « Si Philippe Aghion considère qu’il ne faut pas taxer les plus riches, parce que leur richesse résulte d’un dynamisme entrepreneurial nourri d’innovations technologiques qui enrichit la société tout entière, il ne dit rien, pourtant, de la manière de rendre plus heureux les femmes et les hommes ordinaires, incapables de prouesses entrepreneuriales ou intellectuelles, ébahis devant la puissance acquise par les nouveaux héros du capitalisme mondialisé, et inquiets de ses effets sur leur propre vie » [6].

On comprend donc mieux pourquoi M. Aghion a visiblement approuvé la suppression du chapitre sur les inégalités sociales. En attendant l’innovation miracle qui permettra de reculer les limites écologiques de la croissance, la crise climatique, elle, s’aggrave de jour en jour. FIN

[1] https://www.apses.org/programmes-bac2024-une-nouvelle-generation-crash-test/

[2] https://www.apses.org/liberation-tribune-de-lapses-non-a-un-allegement-des-programmes-de-sciences-economiques-et-sociales-a-la-hache/

[3] https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/11/le-traitement-des-questions-environnementales-et-climatiques-dans-les-programmes-de-ses-au-lycee-est-partial-et-oriente_6145252_3224.html

[4] https://www.apses.org/colloque-les-ses-face-aux-enjeux-ecologiques-lundi-25-mars-2024/

[5] https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/le-penser-faux-de-m-melenchon-1408021

[6] https://www.lemonde.fr/economie/article/2015/10/08/philippe-aghion-ou-l-egoisme-de-l-optimisme_4784963_3234.html

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