On lira ci-dessous des extraits de deux témoignages récents révélateurs du malaise enseignant. Voilà deux jeunes professeurs qui veulent quitter l'Éducation Nationale, mais pas tout à fait pour les mêmes raisons ...
Lundi Matin :" Je ne veux plus aller à l'école ". En France, l’infini débat sur l’école fatigue tout le monde, il est toujours déjà tellement miné : comment faire pour que l’école fonctionne mieux, soit plus égalitaire mais sélective, républicaine et performante. Tous ces discours ne parviennent pourtant jamais à faire écho à l’expérience que la plupart d’entre nous en avons fait : l’ennui, le stress, l’humiliation. Le fait nouveau ces dernières années, c’est que certains professeurs semblent eux-mêmes ne plus voir le lien entre ce qu’ils vivent et le discours "de gauche" censé fonder leur « vocation ». Ce texte que nous publions est à la fois un témoignage et une analyse, il a le grand mérite de partir de l’expérience, de professeur d’abord mais aussi des élèves, afin de tracer les lignes depuis lesquelles on perçoit ce qu’il y a d’inacceptable dans ce qui y est vécu, de tous bords. Et ce que pourrait un apprentissage qui refuse l’humiliation.
Pour faire mes leçons, en général un peu foutraques, boursouflées, j’utilise pas les manuels conçus par agrégés et inspecteurs, la crème anglophone de l’école de la république. Pour une raison toute simple : à chaque page triomphe le consensus mou de la bourgeoisie libérale. ( ...) Si je romps souvent le tout anglais prôné par nos supérieurs, c’est parce que je suis épuisé de jouer le rôle du prof débordant d’énergie qui parle anglais avec un bel accent et mène sa classe comme un orchestre. Malheureusement, mes activités contrebandières sont minuscules face à l’essence occulte du métier, à l’origine du fameux malaise enseignant. Si Saint Jules Ferry, notre tueur de communards national, notre archange colonisateur, décida de mettre des adultes dans des salles de classe, face à des jeunes, c’est bien parce qu’il fallait dompter cette jeunesse. Il fallait lui faire intérioriser la contrainte étatique, l’accoutumer pour plusieurs générations à la température du bain hiérarchique. Et la grande majorité des élèves se laisse plier, quoi qu’en disent les journaux de droite. Ou du moins, ils jouent le jeu sans trop énerver les arbitres. Mais il y en a qui résistent. Il suffit de quelques corps agités pour foutre un bordel pas possible. Le prof a l’habitus d’un capitaine de navire qui redoute la mutinerie, cherche sans cesse à la déjouer et traque les récalcitrants. S’il les attrape, gare à eux. Nous, les cadres de l’école de la république, nous avons l’institution de notre côté et nous l’utiliserons pour briser vos désirs débordants. Vos amusements minables. Votre arrogance déplacée. Moi-même, il m’arrive d’éprouver une pointe de plaisir quand je crois appliquer la juste sanction. Pour moi, c’est là que se noue la dissonance que ressent chaque enseignant dans l’exercice de son métier. On te raconte que tu vas transmettre ton savoir de manière enrichissante et parfois, tu te retrouves à enfiler ton casque de CRS et tu mates les indisciplinés. Deux heures de colle, un coup de fil aux parents et qu’on ne les y reprenne plus. L’éducation, c’est surtout de la pacification des jeunes foules. (...) Je dis que je n’ai plus envie d’aller à l’école car il fût un temps où cela m’attirait. Je voulais échapper au marché du travail, comme tant d’autres et faire un métier avec du sens, sans avoir saisi toutes ces implications. Aujourd’hui serviteur d’un état bourgeois, je compte les jours qui me séparent de la rentrée. Je n’arrive pas à voir de porte de sortie, surtout en ce moment, avec Jean-Michel Blanquer, notre grand démolisseur qui finit de dérouler sa réforme inégalitaire sur nos gueules consternées.(Lundi Matin )
Front populaire : "Comment l'Éducation m'a dégouté de mon métier de professeur". Nivellement par le bas, mauvais comportements des élèves, tyrannie de la bienveillance… Comme de nombreux enseignants, Raphaël a décidé, à contre-cœur, de claquer la porte de l’Éducation nationale :
J’enseigne depuis 13 ans. Je n’ai pas toujours travaillé pour l’Éducation nationale et c’est tant mieux, car j’aurais sûrement enseigné beaucoup moins longtemps si j’avais eu le chemin classique de l’étudiant ayant eu son concours à 24 ans au sortir du master. L’institution m’aurait rapidement dégoûté du métier. (...), Pour l’Éducation nationale, l’autorité est un mot grossier qui est volontairement confondu avec autoritarisme. La peur, la lâcheté de l’administration font que non seulement le professeur est abandonné à son propre sort en cas de conflit avec un élève ou avec un parent, mais en plus, il sera sacrifié afin de ne pas faire de vague. En réalité, l‘Éducation nationale et l'État ont peur parce qu’ils sont faibles.La sanction aussi est un autre mot tabou. La direction a pour habitude de se débarrasser facilement de l’élève insolent ou violent en l’envoyant chez lui avec du travail que, bien sûr, chaque professeur doit fournir en plus de ses cours. Travail qui n’est jamais fait ou si peu. Le renvoi de l’établissement est devenu aujourd’hui tellement banal qu’il est considéré comme des jours de vacances supplémentaires par les élèves. On prendra soin de ne pas l’indiquer dans leurs dossiers (là encore sur pression des parents) afin de ne pas gêner leur future orientation et leur avenir professionnel lors de l’inscription à Parcoursup. Quand l’exclusion se passe au collège, la chose est encore plus simple puisque toute trace de celle-ci est retirée d’office du dossier une fois l’élève arrivé à la fin de la classe de troisième.Les heures de colle, hantises d’autrefois, ne sont plus faites. Bien souvent, le parent en disconvient et celles-ci sont supprimées par le professeur parce qu’il sait qu’il ne sera pas soutenu par sa hiérarchie et évite ainsi les problèmes. Les élèves exclus des cours sont ramenés au professeur par la direction sous divers prétextes comme « il n’y a pas de surveillant disponible » ou plus cyniquement « parce qu’on ne peut pas exclure un élève comme ça, ça ne se fait pas ».Enfin, le rapport écrit lorsqu’il y a « un incident. » Véritable machine à broyer qui met d’entrée la parole du professeur en doute et dont je subirais comme tout bon professeur honnête, le sinistre retour de bâton. Les mots ayant un sens différent dans l’éducation nationale par rapport au dictionnaire ou au reste de la société, il faut comprendre agression verbale ou physique lorsque l’on parle « d’incident » ou même « d’événement ». (Front Populaire)
Bref qu'on soit rebelle ou qu'on soit réac, l'autorité à l'école est une question complexe !