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Professeur agrégé de sciences économiques et sociales (SES) dans l'enseignement secondaire et parent d'élève en Seine Saint Denis, docteur en sciences de l'éducation.

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Billet de blog 18 septembre 2024

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Quand les établissements publics favorisent la ségrégation scolaire

La ségrégation scolaire est surtout la conséquence de la ségrégation spatiale et des statégies d'évitement des familles, mais elle est aussi parfois encouragée par les établissements publics eux-mêmes.

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Quand les établissements publics favorisent la ségrégation scolaire !

Sur ce sujet, les spécialistes de l’éducation sont pour fois d’accord : l’absence de mixité sociale dans la plupart des établissements scolaires français est une des causes majeures de l’importance des inégalités scolaires dans notre pays.

En effet, puisque les performances scolaires des élèves sont en général corrélées à leur origine sociale, les établissements scolaires scolarisant des élèves socialement favorisés obtiennent en moyenne de meilleurs résultats que les établissements scolarisant des élèves d’origine populaire. Dans les « bons » établissements, les élèves ne sont pas « bons » parce qu’ils sont scolarisés dans de « bons » établissements mais ces établissements sont « bons » parce qu’ils scolarisent de « bons élèves ».

La mixité sociale est alors considérée comme un facteur tendant à améliorer les performances scolaires des élèves défavorisés, puisque la présence d’élève moteurs dans une classe améliore le climat scolaire et « tire » les élèves plus faibles vers le haut. La mixité sociale n'engendre pas pour autant d’ « effet Robin des bois » ( on ne prend pas aux riches pour donnes aux pauvres ), puisque les bons élèves ne régressent pas lorsqu’ils sont mélangés avec des élèves plus faibles.

A l ’inverse, le regroupement d’élèves défavorisés dans les mêmes classes ou les mêmes établissements, se traduit par un climat scolaire peu propice au travail et aux progrès des élèves et c’est pour cela que la plupart des spécialistes de l’éducation sont opposés aux groupes de niveau. Rajoutons que par ailleurs, le regroupement d’élèves dans des classes élitistes peut aussi engendrer des effets pervers comme la fragilisation des élèves qui ont du mal à résister à la pression et la concurrence engendrées par un niveau scolaire très élevé.

Au-delà de la simple question des performances scolaires des élèves, l’absence de mixité sociale à l’école entretient aussi « l’entre-soi » et ne favorise pas la cohésion sociale Alors que l’école républicaine est censée rassembler et brasser sur les bancs de l’école l’ensemble des enfants de la Nation, la réalité est ici bien éloignée de ces principes vertueux.  Les termes employés par ailleurs par les sociologues pour décrire l’absence de mixité sociale au sein des établissements scolaires sont assez éloquents.

En sociologie de l’éducation, on évoque en effet la discrimination, l’apartheid, le séparatisme, la ghettoïsation ou la ségrégation scolaire. La mixité scolaire apparaît donc comme un jeu à somme positive dans lequel tous les élèves sont gagnants. Lutte pour favoriser la mixité sociale au sein des établissements scolaires doit donc être une des priorités des pouvoirs publics. Or cette lutte  s’avère difficile pour  plusieurs raisons.

L’absence de mixité sociale, est d’abord et principalement due à la ségrégation spatiale de la population. En effet, comme la plupart des quartiers et des villes sont socialement homogènes, la composition sociale des établissements scolaires reflète en grande partie la composition sociale de leur public. En France, les écoles primaires et les collèges sont sectorisés. Les familles ne peuvent pas, en théorie, choisir l’école de leurs enfants. Celle-ci dépend donc de la carte scolaire élaborée par les collectivités locales. La sectorisation joue de fait un rôle ambiguë, puisque si elle entraine la scolarisation dans le même établissement des enfants d’un secteur socialement homogène, elle va favoriser la ségrégation scolaire.

Mais elle peut, à l’inverser, comme le montrent certaines expériences récentes, favoriser la mixité sociale lorsque les pouvoirs publics décident de modifier la carte scolaire pour scolariser des enfants issus de quartiers socialement différenciés dans les mêmes établissements. Ces expériences se heurtent toutefois souvent à la résistance des familles favorisées. Toutefois, même si les études sur le suivi de ces expériences montrent  que ces mesures de déségrégation améliorent les résultats des élèves en difficulté, ces expériences se heurtent souvent à la résistance des familles favorisées.

Mais la ségrégation scolaire est aussi renforcée par les stratégies d’évitement des familles qui pour éviter les établissements scolaires populaires, ou simplement pour des questions religieuses ou politiques, scolarisent leurs enfants dans des établissements privés ou cherchent à déroger à la sectorisation. Les établissements privés parce qu’ils peuvent sélectionner leur public et se débarrasser des élèves les plus faibles, obtiennent « spontanément » souvent de meilleurs résultats que les établissements publics (mais pas forcément à public équivalent).

N’oublions pas que ces établissements scolarisent aussi de bons élèves d’origine moyenne ou populaire notamment ceux dont les familles sont les plus investies dans la scolarité de leurs enfants.  La ségrégation scolaire est donc d’abord due à la ségrégation spatiale, mais elle est renforcée par les stratégies d’évitement des familles, comme l’a illustré l’an passé les mensonges de Madame Oudéa-Castéra à propos de la scolarité de ses propres enfants.

Il existe toutefois  des cas, dans lesquels ce sont les pouvoirs publics eux-mêmes qui encouragent la ségrégation scolaire. En effet, si les performances scolaires sont souvent liées à l’origine sociale des élèves, cette corrélation n’a rien d’absolue puisqu’il existe aussi d’excellents élèves issus des classes moyennes ou populaires. Mixité sociale et mixité scolaire ne se recoupent donc pas systématiquement.

Or, au nom de l’égalité de chances, les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs (comme les cordées de la réussite) visant à  diversifier la composition sociale des établissements prestigieux en permettant à ces derniers de recruter d’excellents élèves issus des collèges populaires. Ces élèves, qui sont souvent  par ailleurs, même s’ils sont scolarisés dans un établissements populaire,  issus des classes moyennes ou supérieures, vont dont être scolarisés dans des établissements élitistes, alors qu’ils auraient dû être scolarisés dans leur lycée de secteur. La discrimination positive peut donc paradoxalement renforcer la ségrégation scolaire.

De même,  à la rentrée 2024, le rectorat de Créteil a autorisé l’ouverture dans le nouveau lycée public de Vincennes, de sections internationales, dont les élèves sont recrutés hors secteur.  Ce lycée va donc « siphonner » les bons élèves des collèges environnants (notamment sur certaines communes du 93). Ces derniers ne seront plus scolarisés dans leur lycée de secteur, ce qui risque de faire baisser les résultats scolaires de ces derniers.

Un cercle vicieux se met alors en place. La réputation des lycées public de secteur se dégrade et leur attractivité auprès des familles favorisées diminue, alors que toute chose égale par ailleurs, les conditions d'enseignement sont restées les mêmes. C’est ainsi délibérément que le rectorat de Créteil en accordant un statut dérogatoire aux lycées « internationaux » favorise de fait la ségrégation scolaire et incite les familles à contourner la carte scolaire. Voilà pourquoi il est impératif que cesse cette concurrence déloyale et délétère entre établissements publics et que les lycées internationaux de Vincennes (94) et de Noisy le Grand (94) soient sectorisés et que soient créées, en leur sein, des classes technologiques ; bref ces lycées doivent devenir des lycées « comme les autres » !

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