JY Mas (avatar)

JY Mas

Professeur agrégé de sciences économiques et sociales (SES) dans l'enseignement secondaire et parent d'élève en Seine Saint Denis, docteur en sciences de l'éducation.

Abonné·e de Mediapart

60 Billets

0 Édition

Billet de blog 19 juillet 2025

JY Mas (avatar)

JY Mas

Professeur agrégé de sciences économiques et sociales (SES) dans l'enseignement secondaire et parent d'élève en Seine Saint Denis, docteur en sciences de l'éducation.

Abonné·e de Mediapart

Les inégalités scolaires entre la barrière et le niveau

On peut s‘interroger sur l’impact de certains discours radicaux, qui à force d’expliquer que tout va mal dans notre système scolaire, accrédite l’idée que la démocratisation est un échec. Il ne s'agit pas ici de nier la persistance des inégalités, ni à dédouaner l’école de ses responsabilités mais de rappeler que ce bilan n’est pas aussi négatif que ce que certains discours le laissent entendre.

JY Mas (avatar)

JY Mas

Professeur agrégé de sciences économiques et sociales (SES) dans l'enseignement secondaire et parent d'élève en Seine Saint Denis, docteur en sciences de l'éducation.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

LES INÉGALITES SCOLAIRES ENTRE LA BARRIERE ET LE NIVEAU.

En 1925, dans un essai sociologique consacré à la bourgeoisie de la Belle Époque (celle d’avant 1914), Edmond Goblot fait du baccalauréat un marqueur social déterminant. Selon lui, passage de cet examen sert avant tout à légitimer la barrière symbolique qui sépare la bourgeoisie, qui a accès aux études secondaires et supérieures, et le peuple qui n’a, lui, accès qu’à l’enseignement primaire.

« Le bourgeois a besoin d'une instruction qui demeure inaccessible au peuple, qui lui soit fermée, qui soit la barrière. Et cette instruction, il ne suffit pas qu'il l'ait reçue ; car on pourrait ne pas s'en apercevoir. Il faut encore qu'un diplôme d'état, un parchemin signé du ministre, constatant officiellement qu'il a appris le latin, lui confère le droit de ne pas le savoir (...) Le baccalauréat, voilà la barrière sérieuse, la barrière officielle et garantie par l'état, qui défend contre l'invasion. On devient bourgeois, c'est vrai ; mais pour cela, il faut d'abord devenir bachelier ».

Le bac sanctionne donc un certain niveau d’étude, mais il représente surtout une barrière puisqu’un certain nombre de bacheliers obtient ce diplôme de façon laborieuse et après plusieurs essais.

Or le diplôme ne portera pas trace, ni des notes, ni des tentatives multiples : la mention elle-même n'y est pas inscrite, Le diplôme efface à tout jamais les inégalités qu'on a soigneusement constatées pendant tout le cours des classes par des compositions et des prix. Il assimile aux meilleures études les études faites sans goût, sans travail, sans intelligence et sans profit ; des différences de mérite personnel que ces études ont manifestées, rien ne doit subsister quand on sort du lycée pour entrer dans 1a vie, où seule compte la distinction des classes. Le baccalauréat est à la fois barrière et niveau.

Un siècle plus tard, l’obtention du bac n’est plus depuis longtemps le monopole des enfants de la bourgeoisie, mais les inégalités de niveau (ou d’acquis), n’ont pas disparu pour autant. La distinction entre les inégalités d’accès (aux différentes filières du système scolaire) et les inégalités d’acquis (ou de niveau) permet alors de mieux appréhender l’évolution des inégalités scolaires.

A long terme les inégalités d’accès à certaines filières ont tendance à diminuer...

Pour analyser l’évolution de ces dernières, il convient de souligner dans un premier temps l’extraordinaire expansion récente des effectifs scolaires et de la proportion de diplômés dans une génération. La proportion de bacheliers dans une génération est passé de 20% en 1970, à 60% en 2010 pour atteindre 80% actuellement. Dans le même temps le taux de réussite au bac a aussi augmenté passant de 75 % dans les années 90 à plus de 90%. Cette croissance du nombre de bacheliers a aussi entraîné l’augmentation du nombre d’étudiants qui passe de 2,1 millions en 2000 à 2,9 millions en 2020. En valeur relative, la proportion moyenne des jeunes ayant accès à l’enseignement supérieur est passée de 45% en 2010 à 65% d’une génération.

Les taux de scolarisation entre 18 et 25 ans par âge ont aussi considérablement augmenté en raison de l’augmentation de la durée moyenne de la scolarité. Cet accroissement a bénéficié indiscutablement aux enfants des classes populaires (ouvriers et employés) dont le taux d’accès au bac est passé de 52% (panel d’enfants rentrés en 6ème en 1995) à 69%. (panel 2007)1.

Dans le même temps la proportion d’enfants d’ouvriers et d’employés à avoir accès à l’enseignement supérieur est passée de 33% à 52 %. Les enfants des classes populaires ont donc bien plus souvent accès au baccalauréat et à l’enseignement supérieur que par le passé. Cet accroissement peut donc bien être considéré comme un progrès à mettre au crédit de du système scolaire français, même s’il est rarement souligné.

En revanche cet accroissement absolu du nombre de lycéens et des étudiants issus des classes populaires n’a que peu réduit les écarts relatifs de réussite entre ces derniers et les enfants de cadres et de professions intermédiaires, puisque dans le même temps l’accès de ces étudiants au bac et à l’enseignement supérieur a lui aussi augmenté2. Il y donc bien augmentation absolue du niveau de formation des enfants des classes populaires mais une quasi-stagnation des écarts relatifs de réussite entre ces derniers et les enfants des classes moyennes et supérieures.

Mais lorsqu’ils ont accès à l’enseignement secondaire les enfants d’ouvriers et d’employés sont sur-représentés dans les filières technologiques et professionnelles du secondaire, alors que les enfants de cadres sont sur-représentés dans les filières générales. De même dans l’enseignement supérieur, les premiers vont surtout dans les filières courtes (BTS, IUT), quand les seconds se dirigent surtout vers les CPGE et l’université3. La démocratisation de l’enseignement est donc bien selon l’expression du sociologique Pierre Merle, « ségrégative ».

Comme on peut le constater, si « les inégalités d’accès » aux diplômes et aux filières du supérieur ont diminué, cette diminution s’est faite par le bas, c’est à dire grâce à la création de filières dans lesquelles l’enseignement est moins axé sur les disciplines académiques et plus sur des enseignements pratiques ou professionnels.

Or la participation de ces filières à la démocratisation, même relative, de l’enseignement supérieur est rarement évoquée. S’il est vrai que leurs débouchés ne permettent pas forcément d’occuper ensuite des emplois très qualifiés, ces filières favorisent malgré toute la mobilité ascendante des enfants des classes populaires.

Même avec un bac technologique ou professionnel, certains élèves poursuivent leurs études et obtiennent des BUT ou des BTS, ce qui leur permet ensuite pour les plus brillants d’entre eux de faire des écoles de commerces ou de continuer en Master. On oublie en effet souvent de rappeler que l’ascenseur social peut aussi s’élever sur plusieurs générations. Il ne passe pas toujours directement du rez-de-chaussée au sommet, il s’arrête en effet souvent aux étages intermédiaires.

Démocratisation quantitative, ségrégative et massification

Pour que l’école se « démocratise » réellement, sans se massifier, il aurait donc fallu soit que le nombre de place dans l’enseignement stagne, et que le niveau scolaire des enfants des classes populaires rattrape et même dépasse celui des enfants des classes supérieures pour que les premiers prennent les places des seconds, soit que le nombre d’étudiants issus des classes supérieures dans l’enseignement supérieur et secondaire stagne, pendant que le nombre d’étudiants issus des classes populaires progresse de façon à rattraper celui des enfants des classes supérieures.

Les nouvelles places crées dans les différentes formations de l’enseignement supérieur auraient alors dû être réservées aux enfants des classes populaires par un système de quota.

De telles mesures semblent toutefois difficilement envisageables dans une société dans laquelle l’orientation est décentralisée et dépend des résultats scolaires et des aspirations professionnelles des individus. Autrement dit, on ne voit pas bien comment l’enseignement aurait pu réellement se démocratiser sans se massifier.

Il aurait fallu pour cela que l’école réussisse à corriger les inégalités culturelles initiales, ce qu’elle n’arrive pas en effet à faire. C’est donc avant tout à ce constat d’une augmentation massive des effectifs lycéens et étudiants et à la persistance des inégalités scolaires relatives dans l’accès aux différentes filières de formation que renvoie le terme de « massification ».

Si on mesure les inégalités scolaires en fonction de l’accès aux diplômes (à l’exception notable des grandes écoles), et même si l’accès aux différents diplômes reste fortement dépendant de l’origine sociale des élèves, il est donc inexact d’affirmer, comme on l’entend parfois, que l’école ne favorise pas ou plus l’égalité des chances, puisque les jeunes issus des milieux populaires n’ont jamais autant eu accès à l’enseignement supérieur.

D’autre part, si l’accès à un certain type d’emploi détermine la valeur d’un diplôme, celle-ci dépend donc de l’évolution du nombre et du type d’emploi créés par les entreprises. La mobilité sociale dépend donc surtout des créations d’emploi réalisées par les entreprises et non du seul système scolaire.

La persistance des inégalités d’acquis (ou de niveau)

Si on veut proposer un diagnostic sur l’évolution des inégalités scolaires, on ne peut toutefois s’en tenir à l’évolution « des inégalités d’accès », puisque l’évolution de ces dernières peut très bien être liée à une diminution des exigences académiques aux examens ou à des modes d’évaluation plus indulgents ; la progression du taux de réussite au bac par exemple n’est pas forcément le signe d’une amélioration « réelle » des compétences des élèves.

Ces dernières sont alors mesurées par des tests standardisés que passent l’ensemble des élèves sur le territoire national à différents moments de leur scolarité. Or, si on aborde l’évolution des inégalités scolaires en prenant en compte, cette fois-ci, les inégalités d’acquis, le constat est en revanche sans appel.

Ces inégalités restent corrélées de façon assez nette à l’origine sociale des élèves. Les écarts de compétence sont donc assez constants quel que soit la matière et la classe4. Ces résultats sont confirmés par les évaluations PISA qui montrent que la France est un des pays de l’OCDE dans lequel les inégalités d’acquis sont les plus fortes et les plus corrélées à l’origine sociale

« Les inégalités d’acquis » peuvent être alors en partie masquées par les progrès des « inégalités d’accès », comme on le voit lors des résultats du bac : si 90% des lycéens décrochent le bac, les mentions restent socialement liées au milieu social des bacheliers. Ces inégalités d’acquis expliquent aussi pourquoi si les enfants des classes populaires sont de plus en plus nombreux à avoir accès à l’enseignement supérieur, leur proportion dans les filières universitaires décroit au niveau les plus élevés de la hiérarchie universitaire.

Ce sont donc ces inégalités d’acquis que l’école n’arrivent pas à réduire, ce qui n’implique pas forcément qu’elle en soit la seule responsable, puisque certains évènements exogènes peuvent affecter les pratiques culturelles des élèves. Ainsi, le développement de la culture numérique a sans doute des effets sur la pratique de l’écriture et de la lecture, ce qui a sans doute un impact négatif sur les apprentissages scolaires quel que soit par ailleurs le niveau ou l’origine sociale des élèves.

Ce phénomène ne touche d’ailleurs pas que la France, puisque d’après la dernière enquête PISA, le niveau des élèves en mathématiques diminue dans tous les pays européens, même chez les meilleurs élèves 5.

Conclusion

Le bilan que nous avons essayé de dresser ne vise toutefois pas à nier la persistance des inégalités scolaires, ni à dédouaner l’école de ses responsabilités dans la lutte contre ces dernières. Mais il a, à l’inverse, comme objectif de rappeler que ce bilan n’est pas aussi négatif que ce que certains discours déclinistes, ou même progressistes, le laissent entendre.

On peut en effet s‘interroger sur l’impact de certains discours radicaux, qui à force d’expliquer que tout va mal dans notre système scolaire, accrédite l’idée que la démocratisation scolaire est un échec.

Reconnaître les timides progrès de la démocratisation scolaire c’est aussi prendre conscience que le processus démopédique aussi un processus long et complexe qui ne se réalisera complétement que sur plusieurs générations ; c’est donc redonner des raisons d’espérer à l’ensemble des acteurs qui se battent au quotidien pour défendre l’école publique et la démocratisation de l’enseignement. FIN

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.