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Billet de blog 21 décembre 2014

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Parents d'élève solidaires, respectons la carte scolaire !

« Papa c'est vrai que mon collège il va être pourri ? ». C'était il y quatre ans, ma fille était en CM2, son institutrice avait présenté les collèges de secteurs (Paris 20ème) à ses élèves et visiblement l'institution elle-même n'était pas la dernière à participer à la dévalorisation des collèges de secteur. Cette année, elle sort de ce même collège-ZEP pour rentrer dans un bon lycée parisien.

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« Papa c'est vrai que mon collège il va être pourri ? ». C'était il y quatre ans, ma fille était en CM2, son institutrice avait présenté les collèges de secteurs (Paris 20ème) à ses élèves et visiblement l'institution elle-même n'était pas la dernière à participer à la dévalorisation des collèges de secteur. Cette année, elle sort de ce même collège-ZEP pour rentrer dans un bon lycée parisien. Pendant ces 4 années, grâce à une équipe pédagogique dynamique et volontaire, elle a participé à de nombreux projets, elle est partie tous les ans en voyage scolaire, elle a participé à une pièce sur la guerre de 14 qu'elle a été jouer avec ses camarades à Berlin et elle a même failli intégrer le lycée Louis de Grand grâce aux «  cordées de la réussite ». Elle a aussi bénéficié des mesures de discrimination positive mises en place dans les ZEP comme des seuils de classe à 24 élèves ; elle « hallucine » désormais lorsqu'elle entend encore parler de la réputation de son collège.

En cette fin d'année scolaire, lorsqu'ils se croisent les parents d'élèves de fin de CM2 se posent la même question : « alors Théo, Léon, Lucas ou Juliette (mais aussi parfois Fatou ou Sofiane) il (ou elle) va ou l'an prochain? »  et très souvent la réponse est la même : « on a réussi à la mettre dans un bon collège public grâce à l'option bidule…. »  ou « on va la mettre à Saint Machin, parce qu'il (ou elle) était sectorisé sur …., or pour nous il était hors de question de la laisser dans ce collège, tu comprends je connais des gens qui y ont un enfant et qui ont du l'enlever parce que …. ». La question du choix du collège et du respect de la carte scolaire est une des préoccupations majeures des parents d'élèves de CM2 (même si certains se posent cette question dès la maternelle). Ce n'est pas nouveau, mais il est toujours étonnant de le constater, les stratégies d'évitement des collèges de secteurs concernent (presque) tout le monde et transcendent les clivages sociaux et politiques. Des parents enseignants et militants de gauche, de même que de plus en plus de familles issues de l'immigration, essaient d'échapper à la sectorisation en mettant leurs enfants dans le privé ou dans des classes à option du secteur public.

Ne soyons pas hypocrite, il n'est ici pas question de culpabiliser des familles qui doivent retirer leurs enfants d'un collège difficile lorsque leur enfant est en souffrance, mais pour quelques cas particuliers dans lequel l'enfant est vraiment dans une situation critique, combien de familles décident sur des rumeurs ou des réputations souvent exagérées, de ne pas prendre le « risque » de laisser leur enfant dans l'établissement de secteur ? Ou parfois c'est dès le primaire que les enfants sont placés dans des classes spécialisées avec des horaires aménagés pour pouvoir faire dès 7 ans de la musique, de la danse ou un sport particulier. « Les enfants n'ont pas à souffrir des choix et des valeurs de leurs parents » répètent souvent des parents par ailleurs militants. Ces parents veulent ce qu'il y de mieux pour leurs enfants ; comment le leur reprocher ? Mais le choix du collège n'est pas un choix neutre, il a des conséquences sur l'ensemble de la société. Or lorsqu'il est question de scolarité, la solidarité (ou la vertu civique ) n'est plus de mise. Quand des familles ont décidé de ne pas respecter la sectorisation, tous les prétextes et tous les moyens sont bons.

Or le choix du collège est un très bon exemple de ce que les économistes et les sociologues appellent le théorème du « passage clandestin » ou du « free rider ». Le sociologue Mancur Olson analyse les ressorts de la mobilisation en appliquant le principe du calcul économique, le calcul couts / avantages, à l'action collective. En cas de mobilisation, par exemple lors d'une grève, plus le nombre de salariés grévistes sera élevé, plus la grève aura des chances de réussir, mais chaque salarié sait qu'en cas de succès, il bénéficiera des résultats de la mobilisation même s'il n'a pas été gréviste, à l'inverse il en supportera le coût s'il a fait grève et que la grève échoue. Si chaque salarié raisonne de façon purement individuelle et rationnelle, il y a de forte chance pour que la mobilisation soit un échec puisque les salariés vont chercher à bénéficier des avantages de la mobilisation sans en supporter le coût. Voilà pourquoi, les chances de succès de toute action collective reposent sur la capacité des organisations à mettre en place des dispositifs qui incitent les individus à dépasser leur simple intérêt personnel (appel à la solidarité, pression sur les non-grévistes, capacité de convaincre les hésitants...).

Le théorème du passager clandestin peut aussi s'appliquer à la la question du respect de la sectorisation par les parents d'élève. Chaque famille a intérêt à ce que les autres familles respectent la carte scolaire afin que la mixité sociale progresse et que le climat des collèges « difficiles » s'améliore, mais voilà il est difficile d'être vertueux seul et dans un jeu où personne ne respecte la règle, l'individu honnête est sûr de perdre ! Les famille préfèrent mettre en place des stratégies d'évitement plutôt que de « prendre le risque » de laisser leurs enfants aller seul dans un collège difficile. Résultat l'agrégation de ces stratégies individuelles va à l'encontre de l'intérêt collectif et favorise la polarisation des établissements. Les bons élèves vont dans les bons lycées, qui sont bons parce qu'ils recrutent de bons élèves, et inversement. Or toutes les études de sociologie de l'éducation le montrent, dans un collège mixte les bons élèves ne régressent pas, mais les élèves moyens ou faibles progressent grâce à l'amélioration du climat scolaire. Voilà pourquoi seule la mise en place de dynamiques locales et collectives sous l'impulsion des parents d'élèves peut inciter les familles des classe moyennes ou favorisées à « jouer le jeu » de la sectorisation. La lutte contre les inégalités scolaires passe par la solidarité et la mobilisation de parents d'élèves qui décident ensemble de respecter la sectorisation et de renoncer aux stratégies d'évitement.  « Parents d'élèves, soyons solidaires, respectons la carte scolaire ».

Jean-Yves Mas, parent d'élèves dans le 20è arrondissement et dans le 93.

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