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Professeur agrégé de sciences économiques et sociales (SES) dans l'enseignement secondaire et parent d'élève en Seine Saint Denis, docteur en sciences de l'éducation.

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Billet de blog 26 avril 2025

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« A propos du catastrophisme scolaire »

A force de toujours considérer le verre à moitié vide en matière de démocratisation scolaire, on accrédite l’idée qu’elle est un échec, ( Tribune publiée dans le Monde le 28 novembre 2023).

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« A force de toujours considérer le verre à moitié vide en matière de démocratisation scolaire, on accrédite l’idée qu’elle est un échec »

Dans le débat sur l’école et la démocratisation scolaire, les tribunes ou les ouvrages, qu’ils soient rédigés par des enseignants, des hommes politiques, des essayistes ou des universitaires, se suivent et, hélas, se ressemblent. En France, les débats sur la question éducative sont, en effet, fortement clivés. Ils opposent ceux qui estiment que la démocratisation scolaire est responsable du déclin de l’école républicaine et de la baisse du niveau des élèves français, à ceux qui sont persuadés qu’il faut réformer impérativement la façon d’enseigner.

Les premiers, « républicains » ou « déclinistes », décrivent une école qui aurait renoncé à instruire les élèves et à leur transmettre des savoirs. Pour ces auteurs, les politiques éducatives récentes, inspirées par l’égalitarisme et le pédagogisme, auraient surtout cherché à abaisser le niveau des exigences académiques pour rendre les diplômes scolaires accessibles au plus grand nombre, notamment aux enfants des classes populaires. Pour ces auteurs, seul un retour à l’autorité des maîtres et des savoirs et une école plus exigeante et plus sélective permettraient de rétablir l’égalité des chances et de sauver l’école républicaine.

A l’inverse, pour leurs adversaires, « pédagogues » ou « réformateurs », le système scolaire français est, avant tout, anxiogène, injuste et élitiste. Il aurait principalement pour but la reproduction des inégalités scolaires et la légitimation de la domination des classes supérieures. L’école est alors considérée de façon récurrente comme une « machine » à trier, à exclure, à sélectionner, à fabriquer de l’échec ou de l’impuissance. Dans une tribune récente parue dans L’Humanité, Rodrigo Arenas accuse ainsi le système scolaire de n’être « qu’une formidable machine à broyer les destins pour produire de la distinction ».

Métaphores catastrophistes

On le voit, les protagonistes de ce débat, même s’ils diffèrent sur les causes et les remèdes de la crise de l’école, s’accordent pour décrire le système scolaire français à l’aide de métaphores catastrophistes. Depuis quarante ans, ce sont toujours les mêmes arguments et les mêmes éléments de langage qui sont mobilisés pour décrire de façon caricaturale la crise de l’éducation. Pour faire avancer ce débat, il peut toutefois être utile de revenir sur certaines des accusations portées de façon récurrente contre l’école.

L’école française est notamment accusée, par les deux camps, d’être la plus inégale d’Europe. D’après les analyses PISA [Programme international pour le suivi des acquis des élèves], le système français est en effet celui dans lequel les résultats scolaires sont le plus corrélés à l’origine sociale des étudiants. Rappelons toutefois qu’un système scolaire qui permettrait à 20 % d’une génération d’obtenir le bac et d’accéder à l’enseignement supérieur pourrait être considéré comme égalitaire et méritocratique à condition que ces 20 % soient proportionnellement représentatifs de la structure sociale de cette génération. Dans ce cas, l’égalité des chances serait alors paradoxalement respectée puisque l’origine sociale ne jouerait aucun rôle dans la réussite scolaire, même si par ailleurs ce système « égalitaire » ne permettrait qu’à une petite minorité d’élèves d’accéder au bac et aux études supérieures.

Or, s’il est vrai que le système scolaire français se caractérise par de fortes inégalités de réussite, on peut aussi rappeler que, depuis vingt ans, l’accès au baccalauréat et aux études supérieures des enfants des classes populaires augmente sur le long terme puisque l’objectif des 80 % d’une classe d’âge au bac a bien été atteint (la moitié des bacheliers obtient un bac général, l’autre moitié un bac technologique ou professionnel).

En France, d’autre part, 50 % des jeunes ont désormais accès à l’enseignement supérieur (soit l’un des taux les plus élevés de l’Union européenne, UE). Les jeunes issus des classes populaires et de l’immigration sont donc de plus en plus nombreux à obtenir brillamment leur bac et à faire des études supérieures. Les inégalités absolues dans l’accès aux diplômes ont donc bien tendance à diminuer depuis vingt ans.

L’école exclut de moins en moins

Rappelons en outre que la part des élèves quittant le système scolaire sans diplôme a nettement diminué. Elle est passée de 11,2 % à 7,6 % entre 2006 et 2022, ce qui place la France nettement en dessous de la moyenne de l’UE. L’école exclut donc de moins en moins, ce qui est à mettre au crédit de l’ensemble des équipes pédagogiques et de vie scolaire qui luttent quotidiennement contre le décrochage scolaire.

On peut enfin rappeler que l’école n’est pas responsable, comme on l’entend trop souvent, de la « panne de l’ascenseur social » puisque l’évolution de la structure des emplois est indépendante de celle des diplômes. Ainsi, pendant les « trente glorieuses » [1945-1975], la mobilité sociale était forte même si le système scolaire était bien plus sélectif qu’actuellement. En revanche, la démocratisation scolaire se heurte à la loi d’airain de l’inflation scolaire : quand le nombre de diplômés augmente plus vite que le nombre d’emplois (notamment qualifiés) créés, comme c’est le cas depuis vingt ans, la valeur des diplômes diminue mécaniquement, ce qui engendre du déclassement puisque les nouveaux diplômés n’occupent plus forcément un emploi mieux payé que celui de leurs parents.

Ces rappels ne visent pas à dédouaner l’école de certaines de ses responsabilités. Certes, les inégalités relatives d’apprentissage et de réussite scolaire restent fortes mais une analyse dynamique de l’évolution des inégalités scolaires permet de relativiser le pessimisme scolaire, présent à droite comme à gauche, et de sortir du « discours de la déploration ». Même si, pour de nombreux analystes, l’enseignement se serait davantage « massifié » que réellement « démocratisé », on doit toutefois reconnaître comme un progrès le fait que de plus en plus d’élèves d’origine populaire aient désormais accès à l’enseignement secondaire et supérieur. En effet, à force de considérer qu’en matière de démocratisation scolaire, le verre est toujours à moitié vide, on accrédite l’idée que celle-ci est un échec et que son principe doit être abandonné.

Voilà pourquoi, si la gauche doit continuer à défendre la démocratisation scolaire, elle doit sortir du discours de la déploration. Elle doit, à l’inverse, reconnaître les progrès accomplis dans ce domaine, et montrer que c’est justement parce que la démocratisation scolaire progresse qu’il faut continuer à la soutenir et à l’approfondir.

Jean-Yves Mas est professeur de sciences économiques et sociales en Seine-Saint-Denis

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