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Professeur agrégé de sciences économiques et sociales (SES) dans l'enseignement secondaire et parent d'élève en Seine Saint Denis, docteur en sciences de l'éducation.

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Billet de blog 28 avril 2025

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Le (contre)-pouvoir des professeurs.

A propos des attaques contre l'indépendance de l'enseignement de la part de l'extrême droite et d'une enseignante accusée de "faire de la propagande " par une députée.

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Le (contre)-pouvoir des professeurs.

En reprenant la phrase de Nixon selon lequel « les professeurs sont nos ennemis », le vice président américain J.D. Vance, a paradoxalement reconnu le rôle fondamental que joue l’indépendance de l’enseignement dans un société démocratique. Quand ils arrivent au pouvoir, les dirigeants des démocraties illibérales s’en prennent en effet à l’ensemble des contre-pouvoirs qui existent dans une démocratie : ils musèlent l’opposition parlementaire, remettent en cause l’indépendance de la justice, censurent la presse et … s’attaquent à l’indépendance de l’enseignement. Ils reconnaissent ainsi que, dans une démocratie , les professeurs représentent bien le « cinquième (contre)-pouvoir ». Si ces attaques concernent surtout les États autoritaires, la France n’est toutefois pas épargnée par ces offensives, comme le montre l’intervention d’une députée de la droite républicaine qui devant la commission culturelle de l’Assemblée nationale et en présence d’Élisabeth Borne, n’a pas hésité à publiquement révéler le nom et l’ établissement d’exercice d’ une jeune professeure de SES, qu’elle a accusée de « faire de la propagande ». Elle relayait alors les accusations d’une mère d’élève contre cette professeure qui avait diffusé en cours d’EMC une vidéo de Clément Victorovitch critiquant les propos de Bruno Retaillau selon lesquels « l’État de droit n’est ni intangible, ni sacré » (https://www.leparisien.fr/essonne-91/une-prof-de-lessonne-accusee-de-propagande-politique-ses-soutiens-defendent-la-liberte-pedagogique-04-03-2025-5NKYFKGG7FFV7KXWXPCNWFSEEI.php ).

Or s’attaquer à l’indépendance de l’enseignement, c’est s’attaquer au fondement même de la démocratie car comme le disait Proudhon « Démocratie c'est démopédie !». Avec l’ instauration du suffrage universel, la démocratisation des savoirs et la formation à l’esprit critique sont en effet indispensables pour lutter contre les démagogues qui cherchent à manipuler l’opinion en diffusant de fausses informations. Dans une démocratie, la démocratisation des savoirs permet aussi la construction de contre-discours capables de contrer les technocrates qui prennent des décisions au nom de leur expertise, mais sans toujours tenir compte de la volonté des citoyens.

Mais si, dans une démocratie, l’instruction des futurs électeurs est indispensable, elle doit aussi s’accompagner de leur éducation civique. Celle-ci ne doit pas chercher à inculquer une idéologie politique particulière aux élèves, mais à susciter l’adhésion de ces derniers aux principes démocratiques et les inciter à participer de façon directe, ou indirecte, à la chose publique. La démocratie comme n’importe quel système social repose en effet sur des valeurs qu’il convient de défendre et de diffuser, car personne ne naît spontanément démocrate, progressiste ou tolérant. Jules Ferry, lui même, estimait par ailleurs en 1881 qu’un enseignement laïque n’était pas exempt de toute tendance politique car le rôle des instituteurs était de faire aimer la Révolution et la République à leurs élèves. Un enseignement laïque n’est donc pas un enseignement « neutre », son but est de favoriser la vie démocratique de la Nation.

Si le rôle des enseignants est de former les citoyens à l’esprit critique, il est donc légitime qu’ils évoquent en cours d’éventuelles remises en cause de l’État de droit par des personnalités politiques , mais ils peuvent aussi critiquer la politique d’un gouvernement lorsque celle-ci ne respecte pas la séparation des pouvoirs. Les enseignants sont des fonctionnaires d’État, ce qui signifie qu’ils ne sont au service ni d’un parti, ni d’un lobby ni d’une religion mais au service de la République et de l’État de droit. Ce dernier doit donc les protéger lorsqu’ils sont l’objet de menaces ou de pressions politiques. Voilà pourquoi cette enseignante remplissait parfaitement son rôle lorsqu’elle critiquait les inquiétants propos de Bruno Retailleau. 

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