Après les émeutes urbaines qui ont touché la France au mois de juin, son système éducatif se retrouve une fois de plus sur la sellette et comme à chaque fois, chacun joue sa partition. Pour les déclinistes, selon lesquels si l’école va mal, c’est forcément à cause du pédagogisme, « l’école fabrique des masses de jeunes violents et incultes » (https://www.youtube.com/watch?). Dans une récente émission de radio, le maire d’une ville populaire de la banlieue parisienne estime quant à lui que dans sa ville, « la moitié des jeunes quittent l’école sans diplôme, et que l’école devait donc se remettre en cause ». Dans une tribune en ligne on apprend que si les émeutiers ont brulé des écoles, c’est parce qu’elles représentent pour eux « un lieu d’humiliation ». Charles Hadj, professeur de sciences de l'éducation pointe, lui aussi, les responsabilités du système éducatif dans les récentes violences urbaines et rappelle que « L’intolérable gâchis de l’insuccès scolaire touche en priorité les enfants issus de milieux défavorisés. Et, au fil des années, les inégalités liées à l’origine sociale ne paraissent pas connaître de changement significatif » (The conversation, 10/7/23). Enfin, les néo-libéraux qui rêvent d’en finir avec le statut des enseignants, ne sont pas en reste puisque selon un proche du président de la république « L’école doit désormais contribuer puissamment à la formation républicaine», elle doit « lutter contre « l’effondrement civique », et pour cela il faut « désétatiser l’éducation nationale » (cafepedagogique.net/2023/07/10/).
En France, le procès de l’école est devenu une antienne médiatique et politique puisqu’à chaque nouvelle crise sociale, économique ou politique, le système scolaire se retrouve sur le banc des accusés. Or il peut ne pas être inutile de rappeler certains faits afin de lutter contre les approximations qui alimentent le procès toujours à charge du système scolaire français (https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797656?sommaire=4928952).
Ainsi, ces dernières années, l’école a été accusée d’être responsable à la fois du chômage et de la panne de l’ascenseur social. Pourtant, ce n’est pas le système scolaire qui est responsable du chômage puisque ce n’est pas lui, mais les acteurs économiques (entreprises privées et administrations publiques) qui créent les emplois. De plus, contrairement à ce qui est dit, depuis vingt ans, la mobilité sociale des hommes ne diminue pas, mais elle stagne. A l’inverse, celle des femmes a beaucoup progressé (https://www.insee.fr/fr/statistiques/3733096). L’école n’est donc pas responsable de la panne de l’ascenseur social, puisque pendant les 30 glorieuses, la mobilité sociale était forte alors que l’école était bien plus sélective qu’actuellement. En revanche, si le nombre de diplômés augmentent plus vite que le nombre d’emplois (notamment qualifiés) créés, comme c’est le cas depuis vingt ans, la valeur des diplômes diminue mécaniquement, ce qui engendre du déclassement puisque les nouveaux diplômés n’occupent plus forcément un emploi mieux payé que celui de leurs parents. L’école n’est pas non plus responsable de la ségrégation scolaire, de la ghettoïsation de la société ou du fait que certains parents par leurs pratiques d’évitement scolaire freinent la mixité sociale.
Elle n’est évidemment pas non plus responsable des politiques éducatives néo-libérales qui en réduisant les dépenses éducatives fragilisent certains établissements scolaires ce qui ne peut qu’aggraver les inégalités de réussite. Il est quand même aberrant que des enseignants dans des établissements difficiles, perdent de l'argent quand ils font grève pour demander la stricte application des dotations horaires en matière de postes d'enseignants ou de personnels scolaires.
L’école est aussi régulièrement accusée d’être responsable du déclin du civisme et de la progression de l’abstention électorale (on l’a même accusée du succès des antivax, qui a été attribué à l’inculture scientifique des individus). On peut toutefois se demander si ce ne sont pas plutôt les affaires de corruption et les violences policières, et non l’éducation civique, qui sont à l’origine de l’image catastrophique du monde politique et des institutions démocratiques chez les jeunes. On peut aussi rajouter que l’école n’est pas non plus responsable des conséquences négatives des pratiques numériques sur les pratiques culturelles des nouvelles générations.
Si l’école va mal, c’est aussi parce que la société va mal. Dire cela ce n’est pas dédouaner l’école de certaines de ces responsabilités, mais rappeler que l’école n’intervient pas dans un no mans land social et culturel. Elle est souvent davantage victime et non responsable des maux de notre société. Rappelons donc que le rôle de l’école est avant tout de former l’esprit critique des citoyens et de favoriser la justice scolaire. Et c’est avant tout sur ce terrain qu’elle doit être évaluée
Or s’il est vrai que le système scolaire français se caractérise par de fortes inégalités de réussite, on peut aussi rappeler que depuis 20 ans, la part des jeunes quittant le système scolaire a été divisée par 5, que l’accès au bac et aux études supérieures des enfants des classes populaires augmente sur le long terme, qu’en France 50% des jeunes ont accès à l’enseignement supérieure (ce qui est un des de taux les plus élevés de l’UE https://www.education.gouv.fr/EtatEcole2022). Les jeunes issus des classes populaires et de l'immigration sont donc de plus en plus nombreux à obtenir brillamment leur bac et à faire des études supérieures. Les inégalités absolues dans l’accès aux diplômes et aux études supérieures ont donc tendance à diminuer depuis 20 ans. Certes, les inégalités relatives de réussite scolaire, notamment dans l'enseignement supérieur, restent fortes mais une analyse dynamique de l’évolution des inégalités scolaires permet de relativiser le déclinisme et le pessimisme scolaire présent à droite comme à gauche et de sortir du « discours de la déploration ». En effet à force de considérer qu’en matière de démocratisation scolaire, le verre est toujours à moitié vide, on accrédite l’idée que la démocratisation scolaire est un échec et que son principe doit être abandonné.
D'autre part, on peut aussi rappeler que, certes, l'école peut mieux faire en matière de lutte contre les inégalités scolaires, mais qu'il n'existe pas non plus de solution miracle à l'échec scolaire. L'école scolarise aussi certains élèves très éloignés du "monde de l'école" et pour lesquels il est très difficile de trouver des solutions.
Voilà pourquoi si on veut lutter contre l’effondrement civique, la démocratisation réelle des diplômes et des savoirs doit rester un des objectifs majeurs d’une société qui se prétend démocratique. Les politiques éducatives doivent d’abord se traduire par la progression de la réussite scolaire des plus défavorisés, et non par la promotion d’une élite, même représentative du reste de la population. Il faut donc que l’école continue à lutter contre le décrochage scolaire, contre l’absentéisme et contre les inégalités d’orientation. Mais pour cela encore faut-il qu’on lui en donne les moyens humains et financiers et que la lutte contre les inégalités scolaires soit véritablement un des objectifs de la politique éducative du gouvernement, ce dont on peut douter lorsqu’on voit Pap N’Diaye se féliciter de la diminution du taux de réussite au bac, car cela montrerait, selon lui, que le bac a retrouvé « une certaine sélectivité »
Par Jean-Yves Mas, professeur de SES en Seine-Saint-Denis (93).