La nouvelle année aura commencé par ce contraste saisissant de foules enjouées irisées de sourires surjoués devant les caméras et les larmes et les cris de victimes encore vêtues de leur costumes de fête, massacrées par un père Noël armé d’un fusil d’assaut dans une discothèque huppée de la rive européenne d’Istanbul.
Une tragi-comédie digne du Joker sévissant à Gotham City. L’amorce de 2017 est lancée. Une continuation de l’affreuse année 2016 après le faux-semblant de paix instillé par la résolution onusienne de la Russie de Poutine pour un nième cessez-le feu en Syrie ? Ou bien, une année de rupture, une année révolutionnaire comme celle du siècle précédent ?
Je suis sceptique, après avoir pris connaissance des titres du jour, je reçois un tweet avec le commentaire suivant : « chacun mérite sa révolution » accompagné d’un lien sur un fait divers narré par un titre de la presse quotidienne régionale. Un village aurait menacé de couper la route traversant le bourg si le signal permettant de capter la télévision n’était pas rétabli sur le champ pour pouvoir réveillonner en paix devant les programmes télévisuels.
Apparemment la révolution ne sera télévisée mais … télévisuelle…
Après avoir pris mon petit-déjeuner, j’enfourche mon fidèle VTT et me rends pour mon premier pointage quotidien. Je roule ensuite vers le centre ville désert en cette matinée du premier jour de l’année 2017.
Je rencontre un jeune homme habillé aux couleurs du Portugal : Rouge, Vert frappé d’un écusson doré avec un drapeau débordant ostensiblement de sa poche de survêtement. Il est en T-shirt aux couleurs de son équipe de football préférée par 4 degrés. Je le reconnais car il m’avait un peu chambré quelques jours auparavant, au moment où je grimpais pour la nième fois la rue menant à la gendarmerie pour mon quatrième pointage. Je m’étais arrêté et je lui avais dit abruptement d’arrêter de se moquer de moi, en imitant l’accent portugais.
Il m’aborde en me demandant une cigarette. Je lui réponds que je ne fume pas. Et du tac au tac, je lui dis : « mais, alors tu es vraiment portugais. » Il me répond : « oui. » Je m’excuse de l’avoir un peu rembarré la dernière fois, il est presqu’étonné de mes excuses et je lui demande comment ce fait-il qu’il est en T-shirt par ce froid. Je remarque des traces de scarification sur son avant-bras gauche. Il m’explique alors que ses parents sont partis passer les fêtes en famille et que visiblement, il ne fait plus partie de la famille. Il est resté dehors à zoner avec un copain pendant que les gens fêtaient le passage à la nouvelle année à grand renfort de fruits de mer et d’alcool. Je lui serre la main, lui demande son prénom et l’encourage à continuer sa formation dans le bâtiment. Je tente d’ailleurs une blague facile qui lui fait esquisser un sourire et oindre un peu de baume au cœur pour cette nouvelle année qu’il commence avec les joues cramoisies par la froidure matinale.
Tous les magasins et cafés sont fermés. Seuls une boulangerie et un tabac semblent ouverts d’après les rares passants poussés par le froid. L’un, une baguette de pain coincée entre le bras et le flanc, les mains enfoncés dans les poches de son manteau. L’autre tirant d’un geste monomaniaque, le liserai de film plastique d’un paquet de cigarettes pour inspirer ses premières bouffées toxiques de l’année et expirer quelques volutes de fumée enveloppant ses bonnes résolutions déjà trahies.
Le café quasi-centenaire où je me réfugie par temps froid et pluvieux pour faire ma revue de presse ou écrire mon billet de blog matinal ouvrira à midi.
Après avoir erré dans la ville fantomatique jusqu’au second pointage quotidien à 11h45, je reviens au centre ville. J’aperçois le cafetier soixantenaire, disposer ses tables sur la terrasse et à l’intérieur du petit café des sports qui servait jadis de QG pour les associations sportives de la ville. Son geste machinal et précis me rappelle tous ces gestes millimétrés des vieux artisans qui paraissent d’une facilité déconcertante tellement ils ont été optimisés à la lumière de leur expérience multi-décennale.
Je lui présente mes meilleurs vœux pour la nouvelle année en guise de brèves prolégomènes et l’aide à positionner les quelques chaises encore posées sur les tables de brasserie carrées alignées et adossées au mur faisant face au bar à géométrie traditionnelle quasi sacrée.
Je commande un café et échange quelques mots avec lui pour briser le silence. Il m’apprend qu’il fait ce métier depuis près d’une quarantaine d’années et l’ensemble de ce que je vous ai décrit dans les lignes qui précédent ce point.
Un petit café de province à l’abri de ce monde qui n’en finit plus de changer. Ce monde qui entame sa mue à coups d’incertitudes, de phobies, d’incompréhensions, au grand dam de ces spectateurs qui ont l’impression de ne plus avoir de réelle prise sur leur propre destinée. Dans ce cocon hors du temps, on entend parmi les conversations des anecdotes d’antan, des brèves sur tel ou tel fait divers local, la chronique nécrologique de tel ancien client, ponctuées par un « meilleurs vœux » ou un « bonne année et la santé, la santé surtout. »
On pourrait croire à une réunion de dépressifs anonymes, mais pas du tout. Plusieurs marques de franche camaraderie et d’affection viennent contredire cette impression. Un homme offre un verre à une vague connaissance qui a l’air désargentée. Une femme vient rassurer son ancienne voisine qui a passé une fin d’année difficile. Ici les gens se parlent, plaisantent, se sourient, s’émeuvent. Les sonneries de téléphone sont rares ou discrètes. Personne ne pianote sur son smartphone si ce n’est pour répondre discrètement à son interlocuteur ou consulter un texto.
Les clients quel que soit leur âge, leur signes extérieurs de richesse, leur apparence physique sont servis avec la même amabilité. Ici bat le cœur de la ville, ici bat le cœur des angériens.