A bord du véhicule noir 3 policiers du RAID et dans le second véhicule 4 autres de leur collègues. Le cortège est ouvert par des motards, toutes sirènes hurlantes et à toute vitesse.
L’autoradio est réglé sur la fréquence locale de Fun Radio et crache le célèbre tube de Stromae, Papaoutai.
« Dites-moi d'où il vient
Enfin je saurais où je vais
Maman dit que lorsqu'on cherche bien
On finit toujours par trouver
Elle dit qu'il n'est jamais très loin
Qu'il part très souvent travailler
Maman dit "travailler c'est bien"
Bien mieux qu'être mal accompagné
Pas vrai ?
Où est ton papa ?
Dis-moi où est ton papa ? »
J’ai envie de crier ici avec 7 policiers du RAID.
Et à chaque refrain lancinant, je repense à mon fils et à mes autres enfants. Mais surtout mon fils qui a 3 ans. Ses deux plus grandes sœurs de 13 et 6 ans ont déjà intégré la vie d’assignation à résidence, la violence des interventions policières, le regard inquisiteur des gens qui cherchent à lorgner le moindre détail tout en feignant d’ignorer leur situation. Cherchant, recherchant le moindre signe de tristesse non pour y compatir mais pour s’en repaître presque sadiquement. Reniflant patriotiquement le moindre indice de radicalisation puisque c’est le dernier avatar de la politique d’un ministère de l’intérieur aux abois après la série d’attentats meurtriers dans l’Hexagone.
L’aînée a vécu en direct mon arrestation à l’âge de 6 ans, sirènes, sommations, braquage, menottage. La cadette est née pendant mon incarcération. Elle est venue me rendre visite avec sa mère et sa sœur alors qu’elle n’avait qu’une semaine d’existence. Son biberon a été inspecté, des fois qu’il contiendrait de la nitroglycérine. Elles sont blindées et ont acquis une intelligence sociale hors norme.
Pour ce qui est de leur frère, le troisième de la fratrie. Il commence à découvrir ce que signifie l’assignation à résidence en même temps que le langage. Des mots comme police, signer, pointer, commissariat viennent enrichir son vocabulaire balbutiant.
En écoutant les paroles de cette chanson populaire, je me souviens de son doigt accusateur tendu vers une voiture de police qui circulait devant la rue qui longe son école lorsque j’étais venu le chercher à 11 heures et demie. « Regarde papa, c’est la police qui a pris l’ordinateur. » Il faisait référence à la perquisition administrative ordonnée par le Préfet du Tarn pour saisir tout le matériel informatique de la famille suite à une dénonciation calomnieuse d’un couple de policiers encartés au FN local habitant à 100 mètres de notre foyer.
Je me souviens aussi de mon fils sorti précipitamment derrière moi et ma femme et répétant compulsivement : « papa, la police » pendant plusieurs minutes. Nous étions ma femme et moi en train d’expliquer courtoisement au commandant de la patrouille de CRS en faction nocturne devant notre maison depuis plusieurs semaines (elle y restera pendant plus de deux mois et demi) qu’il serait peut-être plus judicieux de se déplacer quelques mètres plus loin pour ne pas déranger le voisinage avec le moteur de leur véhicule constamment allumé de 21 heures à 7 heures du matin.
Ironie du sort cette chanson sera jouée au spectacle de Noël de la crèche fréquentée par ma benjamine qui n’avait pas encore un an.
Ma femme s’était rendue au spectacle pour défier toute la lâcheté de certains spectateurs et certaines spectatrices qui avaient signé cette pétition incendiaire qu’avait lancée ce couple de fonctionnaires de gardiens de la paix qui avaient décidé de partir en guerre contre moi et ma famille.
Ce couple avait constaté horrifié que son fils fréquentait la même crèche que mes plus jeunes enfants et s’était fait un point d’honneur à défendre la préférence nationale. « Un fils de terroriste » ne mérite pas de fréquenter la même crèche que leur fils. Une pétition avait circulé pendant près d’un an pour dénoncer cet état de fait, après que ce brave couple a opposé un ultimatum à la directrice de la crèche.
« Où est ton papa ?
Dis-moi où est ton papa ?
Sans même devoir lui parler
Il sait ce qui ne va pas
Ah sacré papa
Dis-moi où es-tu caché ?
Ça doit, faire au moins mille fois que j'ai
Compté mes doigts »
Ma femme avait envie de répondre à chaque refrain, « ton papa a été déménagé à 460 km d’ici, manu militari à cause de ces honnêtes gens disséminés autour de toi dont la risette admirative et mielleuse devant leur rejeton cachait mal leur âme méprisante et fielleuse à notre encontre.
« Où t'es, papa où t'es ?
Où t'es, papa où t'es ?
Où t'es, papa où t'es ?
Où, t'es où, t'es où, papa où t'es ? »
A mon fils, qui lira lui-même ces quelques lignes quand il aura appris à lire…
Mon fils, voilà pourquoi ton papa a été déplacé loin de la maison par le chef de la Police.
Il n’est pas parti parce qu’il ne t’aimait plus. Il n’est pas parti parce qu’il s’est disputé avec maman.
Il est parti parce que dans ton pays, la France, aujourd’hui, on est papa ou terroriste.
Lien clip : Stromae - Papaoutai - Racine Carrée - 2013
https://youtu.be/oiKj0Z_Xnjc