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Billet de blog 13 décembre 2016

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Papa, il est parti kigner [signer] chez la police...

L'assignation à résidence laisse des traces indélébiles dans les âmes des enfants. Elle les stigmatise, les fait culpabiliser, les ostracise. Voici un récit de l'intérieur sur ce qu'est l'assignation à résidence dans les yeux d'un enfant.

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Dimanche 27 novembre, sans aucune forme d'explication si ce n'est un arrêté lapidaire du Ministère de l'Intérieur, j'ai été transféré par un peloton du RAID à 460 km de mon domicile. Ironie du sort, lorsque j'étais dans l'estafette (;-) Camille) du RAID, menotté les bras derrière le dos, avec les yeux masqués par des espèces de lunettes de ski totalement opaques, Radio Fun crachait le cultissime Papaoutai de Stromae.


L'arrêt était d'application immédiate. On ne m'a donc pas laissé dire "au revoir, les enfants". On ne m'a pas laissé embrasser ma femme qui m'a soutenu avec endurance et persévérance depuis que nous nous sommes rencontrés, il y a plus de huit ans.

Cette rupture violente est l'action de (dis)grâce du Ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve et sa chère équipe qu'il a tant encensée dans son interview de passation de pouvoirs, avant de prendre ses fonctions de chef du gouvernement, le 6 décembre 2016.

C'est ce que je retiens de l'action de Bernard Cazeneuve. Son empreinte laissée sur nos vies, mes enfants, ma femme et moi.

Le jour même, mon fils de 3 enfants n'arrêtait pas de presser sa mère de questions : " Maman, il est où papa ? " Ma compagne tentait de le rassurer, de lui expliquer que j'étais parti loin. Que je n'avais eu le temps (ou plutôt l'autorisation)  de lui dire au revoir, ainsi quà ses soeurs de 13 ans, 6 ans et 11 mois.
Car la patente réalité de la France sous état d'urgence est celle-ci : "ll faut avoir l'autorisation du Ministère de l'Intérieur pour embrasser sa femme et ses enfants, avant d'être déporté".

Ici, certains lecteurs croiront que je ponctue mon récit par un point de Godwin. Il n'en est rien. Assigné à résidence depuis très exactement 3160 jours, c'est à dire depuis plus de huit ans et demi, j'ai été déplacé tour à tour de la Creuse, vers la Haute-Marne, puis le Tarn et enfin la Charente Maritime. Il s'agit de mon septième point de chute car dans certains départements, il y a eu plusieurs transfèrements.

Revenons à mes enfants, les enfants du terroriste puisque c'est comme cela que certaines âmes grises sans la moindre compassion humaine dénomment mes rejetons.

Mon fils, le soir même, à la nuit tombée, a bravachement pris les clés de la voiture de mon épouse en lui disant : " Maman, on va chercher papa. " Il ne s'est pas couché. Il est resté agité comme une puce à me réclamer puis sa mère malade (elle était en hypotension) a réussi à le faire dormir.

Le lendemain matin, croyant que tout cela n'était qu'un cauchemar, il s'est réveillé et m'a recherché partout dans la maison et aussi dans le jardin. Il a renouvelé sa question obsédante : " Maman, où est papa ? Il faut qu'on aille le chercher avec la voiture. "
 
J'ai tenté de lui expliquer au téléphone, que j'étais parti. Que je ne voulais pas partir mais que j'étais obligé de le faire. Il a fini par conclure en disant à sa mère le plus placidement du monde, au cours du repas : " Papa est parti, il nous a quitté. " Mon fils dans sa petite tête d'enfant de 3 ans n'arrivait pas à comprendre qu'on puisse le laisser ainsi, seul avec sa mère et ses soeurs. N'importe quel papa ne peut pas faire ça même le papa de Papaoutai.

Ma femme m'a rapporté quelques jours après que ma fille de 6 ans S. en était arrivé à la même conclusion. Assez taiseuse avec nous sur les choses qui la rendent triste, elle avait confié, presque confessé à sa meilleure camarade de classe qu'elle ne reverrait plus jamais son père.
Mon épouse l'a appris par l'intermédiaire de la mère de cette camarade de classe. Elle en a été d'autant plus attristée et me l'a rapportée dans une conversation téléphonique.

Le week-end dernier, S. a participé à sa première compétition de judo; Elle est arrivée seconde parmi plusieurs enfants qui avaient déjà pratiqué cette discipline l'année précédente. Lorsqu'elle a été appelé par son prénom suivi du patronyme (différent du mien et fleurant bon la France) de ma femme, elle a été étonnée puis s'est présentée sur le tatami. A l'issue de la compétition, elle confiera à sa mère : "Maman, ils se sont trompés, ils m'ont appelée S. G. au lieu de S. Daoudi. Finalement, ce n'est pas plus mal. Sinon ça aurait été la honte."

Voilà ce que Bernard Cazeneuve et sa formidable équipe ministérielle du temps où il était le premier flic de France ont comme autre succès dans leur besace.

Avoir causé autant de tristesse et de gêne à une petite fille de 6 ans. On ne l'appelle pas encore, la fille d'Al-Qaïda comme sa soeur aînée qui vit cette infamie depuis la 6ème. Elle est maintenant en 3ème. Mais la France sous état d'urgence lui promet que cet oubli sera bientôt corrigé.

M. justement l'aînée de la fratrie a été poursuivie par le Procureur de la République d'Albi pour apologie publique d'acte de terrorisme. Oui, vous avez bien lu.
Deux professeurs n'ont rien trouvé de mieux à faire que de rédiger un rapport mensonger pour couvrir le fait qu'elle avait été sortie "manu militari" par le documentaliste exaspéré par sa répartie efficace. Près de 9 mois de procédure, pour arriver à un classement sans suite. Fort heureusement le principal du collège a été extrêmement professionnel et a contribué à innocenter M. Mais le Procureur n'a pas compris que ma femme lui adresse un courrier pour lui demander un entretien pour que l'institution judiciaire explique à une adolescente de 13 ans, blonde aux yeux bleus que son pays pouvait parfois déraper et briser deux trimestres de scolarité et la stigmatiser encore davantage.

Voilà, ce que l'assignation à résidence cause comme traumatismes sur des enfants. Soyez-en juges et ne dites pas comme certains l'ont dit à d'autres époques sombres de l'Histoire : "Nous ne savions pas."

Maintenant, vous savez, vous êtes témoins... 

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