
Depuis près de deux années maintenant, un climat de peur diffuse s’est insinué dans une société traumatisée par les attentats de Charlie Hebdo, du Bataclan et de Nice pour ne citer que les plus meurtriers.
Au lieu de jouer son rôle d’apaisement, le chef de l’Etat et les chefs de gouvernement n’ont fait qu’instrumentaliser ce sentiment légitime de peur de la masse des citoyens vivant en France. Quelle aubaine dans un climat de morosité socio-économique pour exercer un bras de levier inespéré afin d’étouffer les revendications légitimes des classes sociales les plus paupérisées par une offensive ultra-libérale qui n’a rien à envier aux agressives percées sur le front social des années Reagan Thatcher !
La figure de l’ennemi intérieur modelée à grand renfort de reportages anxiogènes de plusieurs chaînes de télévisions publiques et privées a fini par ressembler à la figure de l’ennemi de classe constitué des avatars de ce qu’on appelait jadis les classes dangereuses (pauvres, jeunes, étrangers). Ce glissement plus que sémantique dangereux à permis d’élargir les mailles du filet de chasse des individus non conformes à une société qui n’a plus grand-chose à envier aux castes déshumanisées de 1984 d’Orwell.
La France sous état d’urgence est même devenue pire qu’Israël, où un état d’urgence permanent est en vigueur depuis 1948. Oui, même dans cet État qui est venu grignoter la Palestine historique et où la sécurité du peuple israélien est placée au-dessus des libertés individuelles, un contrôle judiciaire intervient pour vérifier que les mesures des autorités administratives ne sont ni illégales ni disproportionnées. Et l’état de sécurité est de loin plus tendu qu’en France.
D’ailleurs, des thuriféraires français de la droite israélienne la plus extrémiste n’hésitent pas à désigner Israël comme l’exemple ultime à suivre en matière de sécurisation de la société tandis qu’ils ne se rendent même pas compte que sur le plan judiciaire en tout cas, le gouvernement franco-hollando-socialiste à largement dépassé le maître à force de valses avec les conseillers néoconservateurs es-sécurité de tout poil.
Ainsi, en disqualifiant le juge judiciaire de son rôle éminent de gardien des libertés publiques surtout en période aussi trouble et troublée, le gouvernement appuyé par une opposition lâche – au sens de molle (je laisse au lecteur le soin de choisir l’autre acception du mot) – celui-ci a mis à mal un des principes fondamentaux de la démocratie représentative, la séparation des pouvoirs. D’aucuns me rétorquera que le système judiciaire français n’est pas un pouvoir à proprement parler, mais davantage une autorité et que par conséquent, ce n’est pas étonnant.
L’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qu’on croyait gravée dans le marbre stipule que : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. ». Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et Bruno Le Roux se seraient-ils ainsi passé le mot pour se donner des airs de Moïse, en brisant les Tables de la Loi française ?
Pour protéger la démocratie, l’Etat proroge donc l’état d’urgence qui nuit gravement à la démocratie. Alors tant que cela nuit aux « classes dangereuses », personne n’a l’air de s’en émouvoir outre mesure, mais l’histoire démontre que lorsqu’un processus de destruction des libertés s’enclenche, il ne s’arrête que très rarement sans une mobilisation citoyenne vigoureuse pour ne pas dire une résistance, une révolte ou une révolution. D’ailleurs M. Cazeneuve promu chef de gouvernement en bon petit soldat de François le dernier des Hollandais, à défaut d’être courageux, n’en est pas plus téméraire. S’attaquer aux Zadistes, sortes de zapatistes low coast français n’est pas une priorité pour les derniers jours qui comptent triples de cette fin de règne hollandais calamiteuse. S’attaquer aux écolo-citoyens basques qui proposent ni plus ni moins que de désarmer ETA à coup de perceuses et de scies, n’est pas non plus une mesure préemptive pour un ministère amer de l’intérieur.
Non la priorité, c’est l’engeance « islamo fasciste rouge et noire » rouge pour les cocos et noire pour les anars. Oui, j’ai « pimpé » (lire pimepé comme dans pimp my ride la célèbre émission américaine de relooking express des vieilles caisses de téléspectateurs) ce terme de la nov-langue réactionnaire française.
Depuis quelques années déjà, des pseudo-intellectuels et vrais propagandistes de droite comme de gauche mais tous de la classe dominante (c’est toujours plus secure d’être du bon côté du manche pour délivrer un discours prosélyte salvateur) nous expliquent que les communistes et les anarchistes, cette fameuse mouvance anarcho-autonome - pour paraphraser le Squale à la retraite du Renseignement français - sont au mieux des idiots utiles de la 5ème colonne du « grand remplacement » et au pire des alliés objectifs de ces bachibouzouks assoiffés de sang qui se dissimulent dans nos cités, notre Jungle (disséminée dans nos campagnes depuis sa destruction) et même parmi nos têtes blondes auto-radicalisées 2.0.
La sociale démocratie à la hollaMdaise (pour pasticher une publicité vintage d’agence de voyage) qui a toujours trahi toutes les aspirations des dépossédés de l’ordre mondial ne fait que mettre en application ce vaste programme fait de vexations, d’avanies, d’outrages, d’humiliations à l’endroit de la classe laborieuse. Cette classe dangereuse qui voudrait empêcher aux barons socialistes de manger du caviar à la louche et pas que pendant les réveillons.
Celle de ces sauvageons qui osent réclamer une enquête indépendante pour déterminer les circonstances de la mort d’un jeune homme français un peu trop cramé par la machine républicaine qui a pour prénom, celui du premier homme.
Celle de ces jeunes gens pleins d’idées, pleins de ressources, pleins de révolte qui refusent les voies de garage vers lesquelles on tente de les pousser, qui s’organisent de façon autonome non seulement pour dire qu’un autre monde est possible mais pour fabriquer ce monde de tous les possibles avec des moyens dérisoires mais une détermination sans faille. Ces jeunes hommes et femmes que le régime policier en devenir matraque, tabasse, éborgne parce qu’ils osent proclamer que le roi est nu.
Que reste-t-il du programme du Conseil National de la Résistance ? Le C est parti, le R est effacé et transformé en T de terrorisme pour ceux qui osent encore le revendiquer et bientôt le N sera dévoré par la haine de ceux qui ne veulent pas de tous les métèques qui composent cette Nation, jadis Empire de la Coloniale.
Et quelle est donc la panacée pour mater toute cette révolte légitime après les trente piteuses années de serrage de ceinture au point qu’il ne reste plus de trou pour y fixer la boucle ? Vous l’aurez compris, c’est l’état d’urgence. L’urgence pour cette classe dominante, ce micro-peuple d’élite fier, sûr de lui et dominateur, cette tribu de décideurs qui n’a de religion que celle du profit, de loi que celle de la jungle.
Alors on prolonge, on proroge, on perpétue à coup de 49.3 et autres calibres de gibier pour faire la chasse aux gueux coupables de néo-jacqueries parce qu’ils refusent de s’inscrire dans ce nouvel ordre mondial clément avec une patronne du FMI et vengeur avec les sans-dents.
Comment expliquer autrement que l’état d’urgence ait un tel instinct de survie ?
Et comme à l’accoutumée, l’élite lance dans la bataille après leur avoir accordés des permis de tuer sur mesure, ses garde-chiourmes républicains vindicatifs contre les revendicatifs chiourmes affamés de valeurs républicaines, les vraies, celles éternelles de cette France qui était la lumière du Monde lorsqu’elle proclamait que les citoyens naissaient libres et égaux en droit. Et l’élite sonne le gong, compte les rounds, rappelle les règles républicaines en feignant d’ignorer que le combat est truqué par avance et qu’elle décernera toujours la belle boucle de ceinture scintillante au garde chiourme qui se pavanera plein de gloriole devant son chiourme K.O. combattant dans la même catégorie, la même classe, celle des opprimés par le système bien huilé de domination de la crème de la crème mondialiste.
Le 13 novembre 2016, soit un an après les attentats, le chef du gouvernement a d’ailleurs affirmé : « il est difficile aujourd’hui de mettre fin à l’état d’urgence. D’autant plus que nous allons nous engager dans une campagne présidentielle dans quelques semaines […]. Donc il faut aussi protéger notre démocratie ».
Autrement dit, au nom de la protection de la démocratie, on prolonge un état qui met à mal la démocratie. Logique implacable d’un gouvernement aux abois, d’une opposition qui critique le discours de la méthode, plus que la méthode…
Alors c’est reparti, au moins deux ans et demi d’état d’urgence où l’on croit vivre dans le film Minority Report avec en guise de précog[nitifs], des officiers du renseignement qui s’auto-intoxiquent en simulant des scénarios dignes des meilleurs blockbusters hollywoodiens. Cela serait sans effet s’ils étaient effectivement scénaristes et non analystes murmurant et chuchotant dans l’oreille des conseillers du président assiégé dans son palais par toute sa morgue et son incompréhension d’un peuple abusé et désabusé.
Et dans cette période d’état d’urgence dont l’asymptote est a priori l’infini, on y insère et on y enserre, la période électorale présidentielle et législative. Qui peut le plus, peut le moins !
L’avenir nous dira si la dariole législative servira de mise en bouche au trio de tête des présidentiables aussi réactionnaires que François Fillon, Marine Le Pen ou Emmanuel Macron.
Ce qui est sûr, c’est que la Police a pris goût à ce régime d’exception et se permet même de contester l’ordre républicain en manifestant sa colère dans les rues avec un soutien populaire famélique tandis qu’elle se prévalait quelques semaines auparavant de ce même ordre républicain pour étouffer les manifestations populaires contre le démantèlement des derniers vestiges du Conseil National de la résistance et du Front Populaire.
Je suis bien placé, moi Kamel Daoudi, assigné à résidence depuis avril 2008, désormais contraint de pointer quatre fois par jour au poste de gendarmerie, filaturé en permanence par des flics en civil, astreint à un couvre-feu nocturne de 21heures à 7 heures du matin, pour vous dire que cette surveillance orwellienne va se pérenniser et que le régime d’assignation à résidence a tous les avantages pour pister tous les citoyens non-conformes aux normes sociales édictées par la Haute.
Ce régime pernicieux de surveillance et de punition n’obère pas seulement mes libertés individuelles, mais par capillarité celles de ma femme, fonctionnaire de l’Education Nationale et de nos enfants âgés de 13 ans, 6 ans, 3 ans et 1 an.
De plus en plus de familles ont expérimenté cette vieille technique de rétention (Galilée était assigné à résidence) rendue chirurgicalement efficiente avec les nouvelles technologies d’information et de communication. Elles ont pu constater tous les traumatismes qu’elle a laissé sur les adultes et les enfants. Il est temps que la société consciente se mobilise pour éviter que ce procédé ne se généralise et ne se normalise.