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Billet de blog 26 décembre 2025

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Papillons noctambules

Il se leva en catastrophe sans comprendre où il se trouvait. Tout ce qu’il savait c’est qu’il était encore dans un état transitoire.

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On réalise qu’on dormait qu’une fois qu’on est en état d’éveil et réciproquement. La seule difficulté c’est de savoir si l’on est dans une réalité ou dans sa diamétrale opposée. Car bien souvent les lois physico-oniriques ressemblent comme deux gouttes d’eau aux lois physico-réelles lorsque les rêves ne sont pas trop perchés. Il était déjà en train de pianoter ces quelques phrases sur son clavier quand il se surprit à penser ce qu’il venait d’écrire.

Habituellement, on écrit ce que l’on vient de penser. Mais là, il ne savait plus dans quel état transitoire il se trouvait. Était-il passé de l’éveil au sommeil en transitant par la somnolence ? Ou bien avait-il transité du sommeil à l’éveil en passant par le réveil ? Il ne savait plus trop bien.

La similarité de l’éveil dans le réveil et celle de la somnolence dans le sommeil, prouvaient à elles seules comment ces deux binômes de signifiants et de signifiés se babillaient et se balbutiaient en échos.

Une quinte de toux lui rappela que le thé avait suffisamment infusé. Le laisser davantage diffuser son arôme dans l’eau, désormais tiède, ferait de cette infusion une vulgaire décoction voire un vil macérat. Il n’y avait pourtant rien de vulgaire dans une décoction ou un macérat si ce n’est peut-être leur disgracieuse prononciation.

Illustration 1
Papillons de nuit © Christophe & Jessica

Lorsqu’il déversa le contenu de sa théière avec la nonchalance saharienne pour mieux délivrer tous les arômes dans l’éclat de ces bulles d’air qui remontaient à la surface dans un crépitement si caractéristique, il se surprit à percevoir la supériorité des théières d’outre méditerranée sur les théières d’ici, qui lorsqu’on les basculaient trop avaient la fâcheuse tendance à renverser le liquide newtonien qu’elles renfermaient de façon outrancière et chaotique. Ce seul défaut était éliminatoire pour les théières européennes et démontrait – s’il fallait un seul argument éloquent – combien la civilisation du thé n’avait qu’à peine effleuré ce continent qui ne jurait dans son aristocratie que par ce précieux breuvage.

Sa toux continuait de perforer le bruit blanc autour de lui. Son chaton remblayait à coup de pattes fougueuses ses excréments dans la litière et ses doigts continuaient de ponctuer le silence sur les touches mécaniques de son clavier de gamer. C’était pourtant un piètre joueur de jeux vidéo. Ce clavier n’était que la réminiscence d’un rétrofuturisme révolu et suranné. A l’époque où l’on croyait ingénument que les voitures voleraient dans le tournant du vingt-et-unième siècle. « Attention, divulgâche ! » : il n’en fut rien.

Il étouffa maladroitement deux éternuements dans son nez léonin et tenta de reprendre le flux de ses pensées plus fugitives que fugaces. Ses réflexions étaient comme des lépidoptères que le cerveau en ébullition nassait à coups de filet à papillons. Ô combien, il était difficile de rendre la justesse et la précision d’une idée par les mots quand un seul éclair génial suffisait à transpercer ses méninges.

Le processus de traduction de l’idée, à la phrase couchée sur le papier ou affichée à l’écran était une laborieuse parturition qu’un seul accoucheur de mots soutenu par un contingent de muses amusées, improvisées sages-femmes ne parvenaient parfois pas à accomplir. Le cordon ombilical rattaché au cerveau était rompu par la plume de l’écriveron qu’une fois que sa satisfaction était à peu près repue. La virginale blancheur du papier ou de l’écran masquaient souvent prétentieusement les sanguinolents stigmates de la salle de travail intellectuel. Le résultat était ces lettres noires suturant un espace vierge qui apparaissaient aux yeux du lecteur et de la lectrice pour disparaître dans les méandres de ses propres pensées et conter cette histoire que vous lisez.

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