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C’est une situation ubuesque que vit la communauté sénégalaise de la plus grande région de France. Le président Macky Sall qui, malgré son récent séjour dans cette région, à Biarritz pour le sommet du G7, n’a daigné, ni rencontrer cette communauté, ni l’éclairer sur son sort. En est-il d’ailleurs informé ? Ce séjour biarrot, du reste complètement inutile et scandaleusement dispendieux, était pourtant l’occasion rêvée de mettre de l’ordre dans une diplomatie sénégalaise en roue libre depuis le dernier remaniement gouvernemental.
C’est dans la moite chaleur de ce début d’été 2019, en ce week end du 29 juin, que débute un feuilleton, exemplaire et malheureusement devenu banal, de la négligence des gouvernements africains face à leurs responsabilités.
Pourtant les services consulaires de proximité répondent à la mission de service public d’un Etat moderne et de respect de la dignité des citoyens tout autant qu’à la planification stratégique d’un Etat dont l’influence et le développement sont liés au maillage complexe d’un territoire où diplomatie et liens économiques lui assurent représentativité et efficacité.
Selon la presse sénégalaise, ce serait par un décret, qu’à la veille de son voyage au Japon le 29 juin 2019, que le chef de l’État sénégalais Macky Sall, a annoncé le « couperet ordonnant la fermeture de plusieurs Consulats et Bureaux économiques. »
Pour tous les médias qui reprennent cette information, cette décision serait la résultante du besoin étatique de « restructuration de la diplomatie qui s’explique par la rationalisation des dépenses publiques. »
Et la presse d’annoncer que sur une liste de trente-trois consulats du Sénégal à l’étranger, « celui de Bordeaux est le premier à fermer ses portes » allant jusqu’à indiquer que « le personnel contractuel ainsi que les diplomates atteints par la limite d’âge sont sommés de restituer à partir du 7 juillet prochain, leurs maisons et véhicules de fonction. »
Il n’en fallait pas plus pour plonger dans l’émoi les quelques 20 000 Sénégalais (ne comptons que ceux qui sont en situation régulière !) de la circonscription couverte par ce consulat dont l’ouverture en 2001, dans le sillage de la première Alternance politique sénégalaise portée par l’ancien président Abdoulaye Wade, est le fruit d’une mobilisation des ressortissants de ce pays.
"On ne ferme pas un consulat comme on ferme une boutique" Alioune DIAWARA, membre du collectif Touche Pas A Mon Consulat (TPAMC)
Ainsi à force de pétitions, cette communauté a mis fin à des décennies de tracasseries subies. Désormais, les Sénégalais de Bordeaux n’étaient plus contraints de se rendre, à grands frais, à Paris avec leurs familles pour établir des passeports, des certificats de mariage, extraits de naissance » pour les enfants et surtout voter aux élections présidentielles et législatives de leur pays. Et le Sénégal pouvait développer des liens économiques, universitaires et historiques qui le lient à la plus grande région de France.
En effet, la région Nouvelle-Aquitaine, dont la ville-centre Bordeaux, est pionnière dans l’aventure coloniale française en Afrique. Les quatre premières communes sénégalaises (Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis) ayant été fondées par « le clan des Bordelais », conglomérat de colons français exploitant les comptoirs coloniaux installés dans ces villes. Jusqu’à l’élection de Blaise Diagne en 1914, premier député africain qui battra leur candidat, ce « clan des bordelais » règne sur la vie politique, sociale et économique de la capitale de l’Afrique Occidentale Française.
C’est dans ce prolongement, d’ailleurs, que cette diaspora se constitue. Ainsi, Dockers, Tirailleurs, Infirmiers, Etudiants et Travailleurs Immigrés suivent les chemins qu’une histoire coloniale violente a dessiné. Les Ports de Bordeaux et de La Rochelle, l’Ecole de Santé Navale, le camp militaire du Cournau, les Universités Bordelaises, Poitevine et Charentaises et l’Usine Ford Aquitaine Industries accueillent naturellement des milliers de sénégalais qui s’installent avec leurs familles, constituant ainsi l’une des plus importantes, actives et militantes communautés sénégalaises en Europe.
Cette diaspora, informée de cette histoire et nourrie par l’excellence des créations littéraires, artistiques, universitaires et économiques de ses membres, est aussi une des plus engagées politiquement et socialement en France.
C’est donc tout naturellement qu’elle est vent debout contre la décision de fermeture de consulat multipliant pétition, sittings devant le consulat, communiqués et Lettre ouverte aux autorités sénégalaises encore incapables d’éclairer les sénégalais de Bordeaux sur leur situation administrative.
« Nos compatriotes soupçonnent très fort les conséquences des résultats de la dernière élection présidentielle où un vote massif s’est exprimé en faveur de l’opposition républicaine. Les raisons de cette défaite sont à chercher ailleurs. Nos compatriotes vivent votre décision comme une punition, voire comme des représailles. L’existence du consulat ne saurait être sacrifiée sous l’autel de la politique partisane. » Lettre ouverte au Président de la République, Collectif TPAMC, 8 aout 2019
Une douloureuse et sadique expectative règne, cependant.
Qui, du Consul Général en poste et du Ministre des Affaires Etrangères dit la vérité ? A quelle version doivent se fier les Sénégalais ?
En effet, l’actuel Consul Général à Bordeaux, Abdourahmane Koita, dont la probité, l’efficacité et la conscience sont saluées par nombre de sénégalais, dément vite cette mesure de fermeture.
Dans un communiqué rendu public par la presse sénégalaise, le jeune Consul, nommé et arrivé à Bordeaux en 2016, prend le contre-pied de la mesure annoncée.
Cette annonce, à peine communiquée, est à son tour démentie par les autorités du ministère des affaires étrangères.
Dés le 6 juillet, le tout nouveau Secrétaire d’Etat aux Sénégalais de l’Extérieur, Moïse Sarr, dénonce fermement « l’agitation puérile, qui ne repose que sur de la mauvaise foi et des interprétations simplistes. » des sénégalais qui pensent que la fermeture de ce consulat serait liée à la défaite de Macky Sall lors des présidentielles de 2019.
Pendant que la mobilisation des sénégalais de Bordeaux continue, la fermeté de son autorité de tutelle n’empêche, néanmoins pas, le consul général Koïta de persister dans sa position.
Ainsi, le 10 aout dernier, à la veille du sommet du G7, réuni en sitting devant le consulat, le collectif TPAMC a réuni ses membres pour exiger le maintien de ce « service public du quotidien ».
Interrogé par Thomas Despré du journal Sud-Ouest, Abdourahmane Koïta, refuse de dire si le consulat de Bordeaux restera ouvert et assure que « quelle que soit la suite de la réflexion » les services consulaires continueront d’être assurés, comme c’est le cas tout l’été ».
Pendant ce temps. Le nouveau Ministre des Affaires Etrangères est aux abonnés absents. La dizaine de salariés ronge son frein. Si, certains avouent avoir reçu une notification de fin de contrat depuis le mois de juillet, d’autres informent du passage d’une mission d’évaluation ce début aout. Les investisseurs sénégalais et français de Bordeaux, quant à eux, ne savent aussi à quel saint se vouer. Les étudiants dont la rentrée se profile, déjà fragilisés par l’augmentation de leurs frais d’inscription sont perdus.
Une situation qu’un minimum de conscience civique et de respect des procédures administratives aurait pu éviter. A quoi rime cette mascarade diplomatique ? Quelle est la position réelle et définitive de l’Etat sénégalais ?
Karfa Sira DIALLO