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Billet de blog 10 septembre 2020

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La Rochelle: Mr Fountaine, prendrez-vous plus au sérieux la mémoire du racisme?

Dans la perspective des journées européennes du patrimoine et face aux nouvelles mobilisations antiracistes, lettre ouverte au maire d'une ville dont le patrimoine négrier fait insuffisamment l'objet d'un devoir de mémoire critique et transmissible.

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Monsieur le Maire,

Vous venez d’être réélu à la tête d’une ville dont le passé a été marqué, pendant plus de deux siècles, par un crime contre l’humanité dont les soubresauts contemporains semblent vous laisser indifférent.

A la tête de la Rochelle depuis de nombreuses années, votre action politique pour assumer l’actualité d’une histoire encore génératrice de violences est symptomatique d’un déni astucieusement dissimulé derrière des bonnes intentions qui font long feu depuis que l’actualité récente a rappelé, au monde étonné, que la lutte contre le racisme reposait aussi sur un devoir de mémoire lucide et critique des héritages des crimes contre l’humanité que furent la traite et l’esclavage des noirs.

La mort de George Floyd, les mobilisations antiracistes et contre les violences policières ont démontré l’existence d’un racisme systémique, dénoncé aussi récemment par le Défenseur des Droits français, que votre timidité politique sur la question contribue à valider.

En effet, en France, au-delà de tous les mécanismes subtils de la discrimination raciale et des inégalités, le racisme institutionnel s’illustre à suffisance par l’existence dans plusieurs villes d’honneurs rendus à des personnalités coupables, selon la loi française, de crimes contre l’humanité par leur implication dans la traite et l’esclavage des Noirs.

Subsistent, ainsi, dans votre ville de la Rochelle, sans aucune contextualisation ni réparation, des symboles de l’histoire coloniale, esclavagiste et raciste dont la violence ne cesse d’étonner des Rochelais ainsi que les rares touristes qui osent s’attarder sur ce passé de la Charente-Maritime.

Du « monument aux éléphants » qui trône sur la place de Verdun, célébrant sans aucune décolonisation, trois rochelais ayant pris possession de la prospère Cote d’Ivoire aux rues honorant des notables négriers Rochelais comme Fleuriau, Rasteau, Admyrault et Belin, en passant par les discrètes plaques posées sur les Allées du Mail, l’une prétendant honorer Aimé Césaire sur ce qui ressemble plus à un banc, l’autre inaugurée en 2008 lors de la journée du 10 mai qui évoque l’histoire de l’esclavage mais n’en indique nullement l’impact local en nombre de bateaux et d’esclaves déportés par les rochelais, la ville porte des traces d’un legs patrimonial résultant de la foi et du profit tirés d’une entreprise coloniale aux fondements du racisme contemporain qui s’abat sur les africains et leurs descendants.

Cette négligence politique, entremêlant exotisme et déni des réalités sociales, s’est abritée derrière les deux grands ports de la façade atlantique française, Bordeaux et Nantes, dont les édiles, de bords politiques différends, sont bousculés par un exigeant refoulé de leurs concitoyens ces trente dernières années.

Pourtant les travaux de Jean Michel Deveau, dès 1990 avec « la traite Rochelaise », attestent de la place de la Rochelle dans le commerce triangulaire et l’implication des élites charentaises dans la construction et l’édification d’une culture et d’une prospérité coloniale française dans la première comme dans la seconde colonisation.

Si, cette ouverture universitaire sur l’esclavage colonial a donné lieu à un début de décristallisation par les Archives départementales de la Charente-Maritime d’un axe de recherche, de conservation et de diffusion des documents, leur discrétion et leur limitation à un cercle restreint de spécialistes en ont obéré l’impact social et la médiation citoyenne attendus par les nouvelles demandes de justice mémorielle.

C’est ainsi que les discours du radical et ancien maire de la Rochelle, Michel Crépeau, ainsi que sa prise en charge du patrimoine négrier, par l’achat et la réaffectation en 1982 de l’hôtel Fleuriau en Musée du Nouveau Monde (du nom d’un négrier patenté de la ville), vantés comme étant précurseurs d’une volonté politique de médiation institutionnelle de la mémoire de l’esclavage dans le troisième port négrier français ont fait long feu et vite fait de montrer leurs limites politiques et leur modernité.

En effet, pour qui a visité ce Musée au début des années 2000, l’iconographie et la représentation concernait plus la colonisation des terres d’Amérique du Nord que le patrimoine négrier. Jusqu’en 2005, une petite affichette permettait d’accéder à un couloir où quelques feuillets se battaient en duel pour évoquer l’histoire de la traite et de l’esclavage des noirs.

Si, ces dernières années, l’amélioration nette de cette représentation muséale a suivi le mouvement d’ensemble d’une évolution de la conscience politique relativement aux mobilisations associatives et législatives qui ont donné lieu à la loi Taubira et à l’instauration d’une journée nationale de commémoration, il n’en reste pas moins réducteur de prétendre résumer l’histoire d’un crime contre l’humanité dans un « Nouveau Monde » qui ne l’est que pour certains pendant que d’autres, à l’image de la magnifique sculpture de Ousmane Sow représentant Toussaint Louverture inaugurée en 2015, restent enfermés derrière les grilles du même musée.

Pourtant les enjeux culturels mais aussi identitaires indispensables à la restitution au public sont à la disposition de qui sait et veut transmettre. La méconnaissance et le désintérêt du public sur lesquels bien des édiles, volontairement amnésiques, ont compté pour éviter de traiter sérieusement ces revendications s’étant brisés sur le rocher d’un éveil croissant des populations en faveur de villes nouvelles dont les murs, dans ce qu’elles donnent à voir, servent aussi à transmettre leur conscience des horreurs du passé, leur vigilance à en traquer l'impunité et leur engagement à en réparer les conséquences.

L’image de marque de la Rochelle nécessite de dissiper les ambiguïtés croissantes que de nombreux citoyens dénoncent dans votre gestion de ce devoir de mémoire. Les communautés de pensée et d’action entre les acteurs universitaires et associatifs, entre l’histoire et la mémoire, permettent de s’ouvrir aux interrogations citoyennes et intellectuelles avec justesse et justice.

Karfa Sira Diallo

P.S : Ce 20 septembre à 15h, nouvelle visite-guidée #larochellenegriere. Inscription obligatoire : memoires.partages@gmail.com

Infos : http://memoiresetpartages.com/la-rochelle-journee-du-patrimoine-sur-lhistoire-du-racisme-20-septembre/

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Plaque sur les Allées du Mail inauguré le 10 mai 2008

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