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POURQUOI JE M'ENGAGE ?
Journal de Campagne de la liste "Couleurs Bordelaises", Elections municipales 2001
Je me suis dit que je pouvais, que je devais m’exprimer, dire quelque chose, quelque chose qui ne plairait pas forcément à tout le monde mais quelque chose qui puisse me réinstaller dans ma dignité d’homme. D’ailleurs sommes nous là pour plaire, me dirait Anne-Marie ?
Je ne suis pas qu’un ventre. Je ne suis pas qu’un consommateur de pop corn et de play station. Je ne suis pas qu’un nègre à qui on refuse le droit à sa mémoire, à son histoire. Je ne suis pas qu’un ancien combattant marocain obligé de braver le froid et la faim pour mendier sa pitance à la place Jean Moulin. Ma fille n’est pas qu’un rejeton de gitan victime de saturnisme au visage andalou. Je ne suis pas qu’un SDF courbé sur le trottoir à regarder des logements vides. Je ne suis pas qu’un militant de parti politique écrasé par la discipline de parti…
Je crois que je suis plus que cela. Je suis libre, je ne suis pas un esclave enchaîné dans les cales de multinationales voguant sur l’océan de milliards de profits. A moins que…Un doute me saisit : ne serait je pas une victime consentante…
Non ! Si je me plains autant du dérèglement climatique, du manque de temps, du stress, du manque de tunes, de l’injustice, c’est bien parce que le monde tel qu’il va ne me satisfait pas. Alors pourquoi je ne réagis pas ?
Mon père est un ancien combattant français. Je suis mi-sénégalais, mi-berbère, ma mère est une femme diola (ethnie du sud du Sénégal). Ma fille est quart sénégalaise, quart charentaise, quart bordelaise, quart berbère. Qu’est ce qui me différencie d’un alsacien ? N’a-t-il pas eu comme moi, un père dont il puisse être fier et une mère aimante ?
Alors pourquoi lui et pas moi ? Nous avons réussi nos examens ensemble. Nous nous sommes assis sur les mêmes bancs. Nous avons eu nos premier émois amoureux ensemble, partagé nos premiers pétards…
Alors pourquoi moi et pas lui ? Devant le travail, devant les boites de nuit, devant le logement…
Est ce parce que mes parents viennent des faubourgs d’Afrique ? Est ce parce que notre pays, derrière sa tolérance apparente, cache un complexe de supériorité que des siècles d’aliénation culturelle ont placé en lui ? Est ce parce que je suis différent de lui ?
Pourtant, je me sens lié à lui, je nous sais appartenir à la même humanité. Je sais que les choix de l’un ont inévitablement une incidence dans la vie de l’autre. Mais, me dira t-on : « c’est de la philosophie, de la morale ou de l’utopie . »
Je ne veux pas croire que la compétition effrénée et le profit constituent notre destin. Je veux croire que notre destin est de vivre ensemble dans la solidarité avec nos différences.
Notre pays, malgré des choix antérieurs et actuels condamnables, constitue un formidable creuset culturel. Devons nous continuer à nous craindre les uns les autres ? Devons nous continuer à concevoir l’autre, les autres comme des intrus, des paresseux ou des incapables ? Devons nous entretenir cette amnésie sur tout ce que l’autre nous a apporté pour que l’on puisse être ? Mais qu’a-t-on fait pour préserver l’héritage transmis ?
Je veux croire que cette prise de conscience, directe, localisée dans cette vieille cité puisse être l’ébauche d’une ré appropriation de la politique par ceux et celles que la classe politique exclue, ignore, méprise. Je m’engage sans dogme, sans chapelle, mais avec des convictions fortes. Agir à Bordeaux est lourd de significations pour moi.
J’ai rêvé de cette ville, je l’ai aperçue au crépuscule tombant d’un automne gris et pluvieux. J’ai rêvé d’une ville plus ouverte à la différence, plus respirable, où le simple citoyen a le sentiment d’être : c’est à dire de n’être pas qu’un pion d’un jeu que se livrent des acteurs dont l’image lui est insaisissable. J’ai rêvé d’un Bordeaux vivant, vibrant, en transes au son des tamtams qui tout doucement d’abord, puis frénétiquement, le réconcilient avec la nature au son des violons dans le vent.
Karfa Sira DIALLO, Bordeaux, 15 février 2001
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