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Billet de blog 24 novembre 2025

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Décoloniser les "Tirailleurs Sénégalais" : 2e commémoration Massacre de Thiaroye

À une semaine de la 2e commémoration nationale du massacre des Tirailleurs de Thiaroye, la récente proposition du premier ministre Sénégalais, Ousmane Sonko, de rebaptiser les « Tirailleurs sénégalais » en « Tirailleurs africains » mérite d’être placée dans le vaste débat historique et symbolique d’une avant-garde du panafricanisme, en invitant le reste du continent à partager et à honorer une mémoire commune.

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A une semaine de la 2e commémoration nationale du massacre des Tirailleurs de Thiaroye, la récente proposition du premier ministre Sénégalais, Ousmane Sonko, de rebaptiser les « Tirailleurs sénégalais » en « Tirailleurs africains » mérite d’être placée dans le vaste débat historique et symbolique d’une avant-garde du panafricanisme qui semble offrir un exemple de maturité politique et mémorielle, en invitant le reste du continent à partager et à honorer une mémoire commune.

« Ils n’étaient pas sénégalais seulement, mais Africains. Dix-sept nationalités ont participé à ce corps. Il est temps de restituer la vérité historique », a déclaré le chef du gouvernement Sénégalais le mardi 7 octobre dernier.

Que cette proposition soit formulée au cimetière du Camp de Thiaroye où tant de vies de soldats africains furent arrachées lors du massacre du 1er décembre 1944 et qu’elle provienne des nouveaux dirigeants du pays de Léopold Sédar Senghor qui ont hérité de cette tragique et coloniale appellation a été perçu par certains comme une volonté d’ « effacer » l’histoire.

Mais à s’y pencher on découvre comment cette initiative sénégalaise constitue un acte de justice mémorielle, de reconnaissance continentale et de ré appropriation identitaire.

En effet, à presque un an de la geste sénégalaise du 1er décembre 2024 où les autorités sénégalaises ont marqué leur empreinte le 80e anniversaire du massacre colonial de Thiaroye, cette démarche ne vise pas à effacer l’histoire, mais à la restituer dans toute sa complexité, dans sa vérité collective et dans son ancrage panafricain.

Désignation historique réductrice le terme de « Tirailleurs sénégalais » est si profondément ancré dans la mémoire coloniale et postcoloniale qu’on peine à l’interroger. Malgré que des études historiques aient démontré que cette appellation renvoyait à l’ensemble des soldats africains recrutés par l’armée française entre le milieu du XIXᵉ siècle et les années 1960, du Sénégal au Togo en passant par le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad, le Bénin, le Cameroun et la Guinée, ce terme n’a cessé d’être utilisé dans la terminologie institutionnelle et populaire.

Raccourci administratif, issu du fait que la première base militaire de recrutement se trouvait à Saint-Louis du Sénégal, ancienne capitale de l’Afrique occidentale française, le mot « Sénégalais » est ainsi devenu une sorte de commodité langagière que l’administration coloniale a ensuite étendu à tous les Tirailleurs Africains, occultant ainsi la diversité et la pluralité de leurs origines.

Il y a trois ans, le film Tirailleur de Omar Sy avait fait l’objet d’une réflexion critique de ma part. Dans une tribune à Jeune Afrique, je regrettais en effet que « les réalisateurs et producteurs, manifestement conscients de la nécessité de déconstruire l’image du Tirailleur, ont choisi d’étouffer les dizaines d’autres langues africaines entendues lors des Première et Seconde Guerres mondiales : bambara, haoussa, dioula, fon, baoulé, bété, malinké, etc. ? »

Rebaptiser ces soldats en « Tirailleurs africains », tel que le propose le premier ministre Sénégalais, Ousmane Sonko, serait en effet un acte révolutionnaire de reconnaissance collective et solidaire susceptible de rendre à cette mémoire sa véritable dimension continentale.

Renommer ces anciens combattants « Tirailleurs africains » permettrait de rendre justice à tous les peuples du continent qui ont contribué à l’effort de guerre, souvent au prix du sang et du sacrifice. Des dizaines de milliers d’Africains ont combattu sur les champs de bataille d’Europe, d’Asie et d’Afrique du Nord, dans des conditions extrêmement dures, pour des causes qui leur étaient souvent étrangères.

Leur bravoure, leur fidélité et leur résistance ont été déterminantes lors des deux guerres mondiales, de la guerre d’Indochine et d’autres campagnes militaires. Pourtant, pendant longtemps, leur mémoire est restée fragmentée, dispersée entre les frontières héritées de la colonisation. En adoptant la désignation « Tirailleurs africains », le Sénégal, en tant que berceau historique du corps, enverrait un signal fort : celui de l’unité mémorielle africaine et de la solidarité entre nations sœurs.

Ce geste serait un appel à une réconciliation symbolique entre les peuples africains, à un moment où le continent cherche à renforcer son intégration politique, économique et culturelle. Il s’inscrirait pleinement dans la vision panafricaine défendue par Ousmane Sonko, qui aspire à faire de l’Afrique une communauté consciente de son histoire commune et résolument tournée vers son avenir.

Changer le nom des « Tirailleurs sénégalais » revient aussi à déconstruire les récits imposés par la colonisation. Les archives, les manuels et la littérature française ont longtemps raconté cette histoire du point de vue du colonisateur, présentant les Tirailleurs comme des auxiliaires dociles de l’armée française. Or, ces hommes étaient avant tout des victimes de l’ordre colonial, enrôlés parfois de force, souvent maltraités et inégalement récompensés. Quand on pense aux massacres coloniaux qui ont suivi la libération de la France après 1944, de celui du Camp de Thiaroye à ceux de Madagascar en 1947 en passant par ceux de Sétif et Guelma, on mesure l’ampleur de l’ingratitude française face aux revendications d’égalité et de souveraineté dont étaient porteurs ces supplétifs des armées coloniales.

En les désignant ces soldats comme « Africains », comme le propose Mr Sonko, les nouveaux Etats nés après les années 60, affirment enfin et définitivement l’appartenance première de ces soldats à leur continent, et non à une entité coloniale. On restitue leur dignité d’hommes libres, de combattants issus de nations aujourd’hui souveraines. Ce changement s’inscrit dans un mouvement plus large de réécriture des récits africains, où les Africains reprennent la parole sur leur propre histoire, leurs héros, leurs douleurs et leurs victoires.

La question de la mémoire n’est pas qu’un débat d’historiens ; elle concerne aussi les jeunes générations africaines. Les enfants d’aujourd’hui doivent savoir que l’héritage des Tirailleurs ne se limite pas à un seul pays, mais à tout un continent uni par le courage et la souffrance. Le mot « Africain » leur rappellera que leur identité dépasse les frontières nationales, et qu’elle s’enracine dans une histoire partagée de résistance et de dignité.

Cette réforme aurait également une portée éducative : elle encouragerait les programmes scolaires, les musées et les œuvres culturelles à présenter une vision plus complète et inclusive de l’histoire coloniale. Elle stimulerait la recherche sur les Tirailleurs de chaque pays, valorisant les archives locales et les mémoires familiales. En somme, elle contribuerait à la construction d’une conscience historique panafricaine, fondée sur la solidarité, la reconnaissance et la fierté.

Renommer les « Tirailleurs sénégalais » en « Tirailleurs africains » n’est pas un simple changement lexical. C’est un acte de souveraineté intellectuelle, un hommage rendu à la diversité des origines africaines et un pas décisif vers la décolonisation de nos mémoires. En posant ce geste, Ousmane Sonko inscrit le Sénégal dans une démarche de vérité, d’universalité et de leadership moral.

Cette initiative, si elle est soutenue par les autres États africains, pourrait devenir un symbole fort du renouveau panafricain : celui d’un continent qui refuse la fragmentation héritée de la colonisation et choisit de se souvenir ensemble.

Le nom de « Tirailleurs africains » serait alors non seulement un hommage, mais aussi une promesse : celle d’une Afrique qui se réapproprie son histoire pour mieux écrire son destin.

Karfa DIALLO

Fondateur-Directeur de Mémoires & Partages

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