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La visite du président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye et l’accélération prochaine des relations diplomatiques et économiques entre la France et le Sénégal, ne saurait laisser indifférent ni l’élu Français, ni l’acteur social Sénégalais et encore moins le militant Panafricaniste que je suis.
J’entends et comprends les moqueries des opposants au nouveau régime sénégalais ébranlés par ce qu’ils nomment « revirement » dans la relation entre Dakar et Paris. Qu’elles proviennent de sénégalais et/ou de militants panafricanistes, elles sont légitimes et témoignent des espérances d’affirmation et de souveraineté que le parti PASTEF a su soulever dans le cœur des Sénégalais et des Africains. Mais le Sénégal n’est ni le Mali, ni le Burkina-Faso, ni le Niger et encore moins la Guinée-Conakry.
En effet, si l’ambition de souveraineté décoloniale en Afrique, cette volonté de rompre avec les dépendances héritées de la colonisation (politiques, économiques, culturelles), est légitime et nécessaire, elle se doit d’avancer avec prudence et stratégie, pour éviter qu’un discours fort ne se traduise en échec politique ou économique.
Conseiller régional de la Nouvelle-Aquitaine et acteur du progrès économique et social au Sénégal et en Afrique, j’ai combattu le régime socialiste tout jeune, élève et étudiant, dans le mouvement syndical sénégalais, puis le président Abdoulaye Wade lorsqu’il tenta son coup de force d’un troisième mandat en 2012, tout en travaillant avec lui afin que le Sénégal soit le premier pays africain à déclarer l’esclavage des noirs crime contre l’humanité. Enfin en critiquant vertement le régime de Macky Sall par la publication en 2015 de l’ouvrage « Sénégal-France : Mémoires d’alternances inquiètes », je prenais la mesure du déclin sénégalais que l’ancien président a confirmé par la dette colossale dont il fait hériter les nouvelles autorités et que le FMI et la Banque mondiale estime à 75 % du PIB.
En effet, la croissance attendue n’ayant pas suffi à compenser le poids du service de la dette, le Sénégal voit, en cette fin d’année 2025, ses marges de souveraineté économique drastiquement réduites, affaiblissant la capacité du pays à définir son propre modèle de développement, sa dépendance aux créanciers et surtout rendant le pays encore plus vulnérable face aux institutions financières et aux marchés internationaux.
A ceux qui propagent une éventuelle faiblesse du nouvel Etat Sénégalais face à la France, je dis que la prudence et la responsabilité des tenants du pouvoir doivent être saluées. Cette prudence témoigne aussi de la qualité de lecture et d’analyse des ressorts psychopolitiques des Sénégalais qui a fait le succès des nouveaux dirigeants qui ont su faire corps avec les aspirations de la jeunesse sans s’aliéner l’expérience des cadres d’un pays aux relations post-coloniales complexes.
Si nul ne saurait douter de la sincérité de l’aspiration à une véritable souveraineté décoloniale des nouveaux dirigeants sénégalais, aussi impatients que leurs peuples de se libérer des héritages contraignants de la colonisation (dépendance économique, tutelle politique, influence culturelle ou militaire), il faut admettre que l’alternance sénégalaise du 25 mars 2024 a sur digérer les légitimes revendications populaires et la tension diplomatique avec l’ancienne puissance coloniale.
Et la progressivité avec laquelle, Bassirou Diomaye Faye et son premier ministre Ousmane Sonko, mettent en œuvre cette volonté de rupture démontre leur conscience des nombreux risques et pièges dans lesquels quelques voisins de la sous-région sont en train de tomber : instabilité économique, récupération autoritaire et substitution d’une dépendance par une autre. D’où la nécessité d’une approche prudente, progressive et stratégique.
Entre souffrance sociale et désir de renouveau, nombreux sont les Sénégalais, en interne et en diaspora, à souffrir d’une crise économique aux répercussions insoupçonnées. L’insécurité alimentaire dans les campagnes où inondations et baisse de production agricole ont fait basculer prés d’un million de personnes en situation d’urgence, la crise de la pêche artisanale qui contraint les pécheurs à l’immigration, l’inflation et le pouvoir d’achat en chute libre dans un pays où le coût de la vie est devenu « le plus élevé d’Afrique » selon certaines analyses et la paralysie de secteurs clés comme la construction, sont autant d’indices du chaos que les nouvelles autorités veulent à tout prix éviter à leurs administrés.
Il faudrait néanmoins remarquer que dans le secteur militaire, domaine stratégique essentiel, les nouvelles autorités sénégalaises ont poursuivi, avec succès, l’équilibre délicat entre coopération internationale et affirmation de la souveraineté décoloniale qui fait la marque du pays de Senghor. La tutelle sécuritaire, continuité coloniale indéniable depuis les Indépendances, est ainsi brisée par la fermeture définitive des bases militaires, enclenchées sous Abdoulaye Wade et parachevées par Bassirou Diomaye Faye. Sur ce sujet aussi le modèle de souveraineté décoloniale, pragmatique et modérée, est validé par l’expérience : rupture symbolique avec la tutelle coloniale, mais sans isolationnisme, en privilégiant une coopération choisie et maîtrisée.
Du côté de la France et de ses nouvelles autorités, héritière de la colonisation et du néocolonialisme, les revendications souverainistes qui montent en Afrique entrainent une remise en cause certes douloureuse mais de plus en plus et indéniablement reconnue. Si Emmanuel Macron et son régime ont redoublé de maladresses dans la reconnaissance de cet état de fait, le rejet de la présence militaire, les demandes de réparation des crimes historiques et la dénonciation des accords monétaires (CFA) ne sont plus tabous ni vécus comme des signaux d’hostilité.
A l’inquiétude stratégique, dû à la concurrence géopolitique accrue de nouveaux acteurs, la France reste néanmoins encore ambivalente et championne d’un « double standard » où l’affichage des valeurs républicaines se heurte à la préservation à tout prix de ses intérêts (ressources naturelles, présence militaire, influence diplomatique, francophonie).
Pour autant, face au ressentiment néocolonialiste d’une partie de l’opinion publique française biberonnée à l’anti-repentance d’une extrême droite en vogue, une autre partie (chercheurs, diplomates, société civile et diaspora) plus sensible aux enjeux historiques et humains, appelle à une relation plus équitable et respectueuse, mais sans rupture brutale. C’est dans ce besoin de redéfinir la relation que se niche la reprise des relations diplomatiques, économiques et politiques entre la France et le Sénégal.
Nul doute que Bassirou Diomaye Faye, aujourd’hui, et Ousmane Sonko, demain, sauront compter sur l’inédite légitimité populaire et démocratique conférée par le peuple Sénégalais pour changer définitivement le logiciel de la relation entre la France et ses anciennes colonies : sortir du réflexe paternaliste, construire une relation d’égal à égal et accompagner plutôt qu’imposer.
Et comme pour Nelson Mandela « Le courage n’est pas l’absence de peur — c’est inspirer les autres à aller au-delà de la peur. La réconciliation n’est pas oublier le passé, c’est apprendre à vivre ensemble en dépit de lui », l’engagement des nouvelles autorités sénégalaises à déboulonner la Françafrique reste vitale pour le devenir de l’Afrique.
Gardons-nous cependant de croire que la prudence dont elles font preuve serait un reniement ou une faiblesse. C’est une stratégie de succès : elle permet de transformer une rupture symbolique en un projet durable de souveraineté réelle, capable de libérer le Sénégal et l’Afrique sans les replonger dans de nouvelles formes de domination et d’instabilité dont les peuples seront les premières victimes.
Et, pour paraphraser Aimé Césaire, « Même le crayon du bon Dieu a une gomme », l’exigence de dignité, de liberté et de prospérité, au fondement de l’ambition de souveraineté décoloniale en Afrique ne peut réussir qu’adossée à une stratégie réaliste, progressive et inclusive.