Agrandissement : Illustration 1
Parce que pour la première fois dans l’histoire militaire, la mention « Mort pour la France » est attribuée par l'État à des soldats morts suite à une exécution extrajudiciaire commise par ses propres services, il importe que le massacre colonial de Thiaroye soit officiellement reconnu par la France en ce 80e anniversaire d’un drame colonial encore inflammable.
Frères d'armes lors de la Première puis de la Seconde Guerre mondiale, pour ne rappeler que celles-ci, les Tirailleurs africains et le peuple français, ainsi que leurs descendants, ont toujours nourri un passé commun et surtout, un lien unique, dépassant le seul cadre militaire. Le paradoxe veut que le sang coulé, qui les a unis, ait fini par les désunir.
Le 1 décembre 1944, des dizaines de tirailleurs sénégalais, trente-cinq soldats, selon la première version officielle, plusieurs centaines selon certains historiens, ont été exécutés sur ordre d’officiers de l’armée française au camp de Thiaroye. Présentés comme des « mutins », ces soldats de la seconde guerre mondiale, originaires des anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest, réclamaient leur reliquat de soldes après les services militaires sur le front de la seconde guerre mondiale en Europe. 34 tirailleurs sont jugés le 6 mars 1945, condamnés à de lourdes peines de prison.
Pendant 80 ans, cet épisode tragique de la Seconde Guerre mondiale est resté dans l’ombre de l'imposture mémorielle que le déni et le manque de courage des autorités françaises. Des dizaines d’années où ces hommes-martyrs, leurs familles et les nombreux militants, qui se sont heurtés à l’indifférence administrative et à l’ingratitude politique, n’ont cessé de se demander s’ils ne payaient pas le sang noir qui coulent dans leurs veines. Inimaginable que des soldats métropolitains blancs, tués dans les mêmes circonstances, subissent un tel traitement !
Une reconnaissance progressive de cet épisode a néanmoins eu lieu. Le 1er décembre 2014, François Hollande, en visite au Sénégal, prononce un discours dans l’enceinte du cimetière militaire du Camp de Thiaroye dans lequel il reconnaît la faute de la France dans la fusillade qui a coûté la vie et annonce la restitution d’archives numérisées à l’État sénégalais.
A l'occasion du 80e anniversaire de ce drame, deux grandes villes françaises, capitales de la Nouvelle-Aquitaine, sont mobilisées par des acteurs associatifs et culturels pour se hisser au niveau de l'exigence de reconnaissance, de transmission et de réparation de cette histoire.
Si cette région, porte d'entrée et de sortie du royaume de France du 15e au 20e siècle, est autant en pointe sur cette commémoration, c'est que ces liens avec l'Afrique ont été constants pendant l'époque de la traite négrière, de l'esclavage et lors de la conquête coloniale du continent africain. Ses quatre ports, de Bayonne à la Rochelle, en passant par Bordeaux et Rochefort, en feront un lieu stratégique d'acheminement, de formation et d'emprisonnement.
Ainsi les français s'en serviront pour convoyer leurs troupes africaines vers les fronts des guerres mondiales. C'est ce qui expliquera le sort tragique des 900 tirailleurs africains du Camp du Cournau (Bassin d'Arcachon) décimés par une maladie lors de la 1ère guerre mondiale, la mort de 200 soldats dans le naufrage du paquebot Afrique en 1920 au large des cotes Rochelaises ainsi que le calvaire des tirailleurs "mutilés du cerveau" qui seront internés à l'Hopital psychiatrique de Cadillac (Gironde).
Mais la région accueillera surtout plusieurs camps Stalags. Ces camps d'emprisonnement que les nazis construisent lors de la seconde guerre mondiale et d'où proviendront la quasi totalité des tirailleurs fusillés à Thiaroye après leur rapide démobilisation en Novembre 1944.
En effet, les prisonniers africains et coloniaux de l'armée française ne seront pas envoyés en Allemagne dans les stalags avec les autres prisonniers de guerre français. L'Allemagne nazie craint la « contamination raciale ». Plus de 15 000 tirailleurs africains prisonniers, ajoutés aux 54 000 Malgaches, Nord-Africains, Indochinois, Martiniquais, vont être dirigés au printemps 1941 vers 22 camps de rétention spécialement destinés aux hommes de couleur, nommés Frontstalags.
En Nouvelle-Aquitaine, trois de ces camps ont marqué la mémoire.
LE CAMP DES AS (FRONSTALAG 221, SAINT-MEDARD EN JALLES)
Après la défaite de 1940, la Gironde est occupée et les Allemands entrent à Saint Médard en Jalles au début de juillet 1940. Ils occupent immédiatement la poudrerie et tous les camps dont ceux de Caupian qui deviennent le centre du Frontstalag 221. Le camp des As à Caupian s’emplit de prisonniers. En 1940, il y a 1493 prisonniers. Ce sont des soldats de la métropole, des territoires d’outre-mer, des tirailleurs sénégalais et des Annamites. Un hôpital sert pour tous les prisonniers de guerre de la zone de Bordeaux. Au camp des As, le prisonnier le plus connu est Léopold Sédar Senghor arrivé le 5 novembre 1941 venant du Frontstalag 230 de Poitiers ; il fut libéré pour raison de santé le 14 février 1942. Saint-Médard-en-Jalles est libérée le 26 août 1944.
LE CAMP DE BUGLOSE (FRONSTALAG 222, LES LANDES)
Redécouverte en 2009, suite à la tempête Klaus, ce camp, unique en France, commence à rentrer dans la conscience collective nationale et internationale. De 1940 à 1945, plusieurs dizaines de soldats hommes originaires du Maghreb, Afrique subsaharienne et de Madagascar pour l’essentiel, y ont été emprisonnés par les nazis. Le site de Buglose, de la commune de Saint-Vincent-de-Paul, a été mis à jour par la tempête Klaus et a été le seul camp des Landes réhabilité à l’identique après un travail de titan mené par les bénévoles de l’association Mémoire du Camp des Prisonniers de Buglose.
LE CAMP DE LA CHAUVINERIE (FRONSTALAG 230, POITIERS)
Frontstalag 230 : c'était l'appellation officielle du camp de La Chauvinerie. Parce que le régime nazi jugeait les colonisés et les noirs indignes du territoire allemand, c’est à Poitiers que ce camp a été ouvert par la Wehrmacht du 20 juillet 1940 au 7 avril 1942. Elle y a incarcéré ceux que l'on appelait « les tirailleurs sénégalais ». Jusqu'à 7.000 prisonniers de guerre et 4.000 civils dont la plupart étaient originaires d'Afrique Noire, mais aussi Malgaches, Antillais, Indochinois, arrêtés après l'armistice signé par Vichy. De ce camp, les spécialistes en connaissent ce qu'a écrit Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal qui y a été emprisonné. Les Poitevins, en tout cas la grande majorité d'entre eux, en ignoraient tout. Jusqu'à la découverte par l'INRAP (Institut national de recherche pour l'archéologie préventive) en 2008 de fossés situés sur le site du futur quartier des Montgorges.
C'est sans doute pourquoi, 80 ans après le drame de Thiaroye, de Bordeaux et sa région, porte d’entrée en France des Tirailleurs où des centaines de soldats africains furent emprisonnés ou moururent, il s’agit d’organiser plusieurs événements avec l’ambition de se souvenir, de comprendre et de rendre visible la réalité de ce massacre colonial, la situation coloniale qui l’a permis, transmettre la mémoire des victimes et demander justice.
PROGRAMME A BORDEAUX
21 NOV.- 7 DEC - ROCHER DE PALMER EXPOSITION DOCUMENTAIRE Morts pour la France, l’histoire des Tirailleurs de Thiaroye - Inauguration 21 nov. à 18h30
SAMEDI 23 NOV. A 18H - ROCHER DE PALMER - CONVERSATION Petit fils de Tirailleur : Binkady Emmanuel Hié, auteur de Visibles, Figures noires de l'histoire de France
SAMEDI 30 NOV. A 16H - ROCHER DE PALMER - HOMMAGE ARTISTIQUE sous la supervision de l’artiste Cheikh Tijaan Sow – En présence de l’acteur Sidiki Bakaba
DIMANCHE 1 DEC. 2024
11h - QUAIS DES CHARTRONS - HOMMAGE SOLENNEL (face Cours de la Martinique)
14h - PROJECTION-DÉBAT Camp de Thiaroye de Ousmane Sembène - CINÉMA UTOPIA
SAMEDI 14 DEC. A 13H - THÉATRE LA LUCARNE - DE THIAROYE A SAINT-MICHEL - Lectures, performances et musiques
PROGRAMME A POITIERS – 10 AU 14 DÉCEMBRE
10 AU 14 DEC. MÉDIATHEQUE DE LA BLAISERIE - EXPOSITION DOCUMENTAIRE Morts pour la France, l’histoire des Tirailleurs de Thiaroye - Inauguration 10 déc à 16h30 par Léonore MoncMaire de Poitiers
JEUDI 12 DEC. A 18H - CINÉMA TAP CASTILLE - PROJECTION-DÉBAT Camp de Thiaroye
SAMEDI 14 DEC. A 14H30 : BALADE CONTÉE sur le lieu historique du Camp Stalag d’emprisonnement de Tirailleurs de la Chauvinerie.