Karine Aledo Remillet

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Billet de blog 14 mai 2021

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Ecrit de détresse

Il est 18 heures quand Sabine reçoit un appel de détresse de son fils, Ethan, étudiant en PASS. Solitude, surmenage, aberrations de la réforme ont eu raison de ses forces.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Madame la ministre de l’Enseignement Supérieur a dit dans un média que « la réforme se passe bien, que les étudiants l’ont bien comprise ».

Pourtant les témoignages contraires abondent, et il ne s’agit pas d’une petite minorité d’étudiants arrivés là par hasard, et qui n’auraient pas compris la sélectivité des études de santé.

Mon fils Ethan par exemple, vit seul dans un studio depuis le 10 Août 2020 à Montpellier. Il rentre rarement nous voir pour ne pas se distraire, pour ne pas perdre son rythme de forçat. Sept jours sur sept, seul devant son écran, il ingurgite des heures de cours enregistrées qu’il visionne en accéléré pour gagner du temps. Ils le font tous d’ailleurs… effrayant n’est-ce pas ?

Alors pour garder le fil, je l’appelle tous les soirs, juste un mot « comment s’est passée ta journée, ça va ? » Souvent il tarde à répondre, j’ai l'habitude, je retourne à mon quotidien, à mon travail et au collectif qui m’aide à garder le moral et me sentir moins inutile. Néanmoins, depuis la nouvelle du suicide d’une étudiante en PASS au mois de Janvier et les messages alarmistes de certains autres, je vis moins bien la sonnerie qui dure trop longtemps.

Mon fils n’est pas un grand bavard, il n’appelle jamais, comme beaucoup de jeunes il préfère les messages écrits. Sur mon téléphone, sa musique préférée est dédiée à sa sonnerie, comme un clin d’œil… Cependant elle retentit rarement et quand elle le fait, mon cœur se serre et ce n’est pas pour rien… En cette année particulière elle résonne encore plus fort. Quelques minutes après notre dernier message écrit, elle sonne, je mets quelques secondes à réaliser, j’ai si peu l’habitude de l’entendre. Je décroche et là, j’entends mon fils, un jeune homme de 19 ans, habituellement si fort, si peu vulnérable, en larmes, un torrent de pleurs, de mots, de douleur, Maman !! Comme un cri du cœur, je ne l’avais pas entendu pleurer depuis des années… Je ne comprends pas, je lui demande ce qui se passe, où est-il ? Il est chez lui, non, c’est moralement que ça va pas, il se fissure, il a  craqué violemment, il avoue du bout des lèvres qu’il a cogné fort dans un mur, qu’il s’est peut être fracturé la main…comme un aveu de faiblesse, alors que non, c’est déjà tellement incroyable d’avoir tenu jusque là ! Il faut dire qu’aujourd’hui, il avait un examen de son option mineure de réorientation, qu’il n’a pas choisie et qu’il devait étudier en même temps que son programme de PASS, 26 QCM en une demi-heure (pour diversifier les profils, ça change des QCM de PASS). Pour éviter qu’ils ne trichent ( !?), on a bloqué la possibilité de revenir en arrière pour faire les questions dans le désordre, et sans le signaler en début d’épreuve… le summum du supplice moral, pour les mettre en échec c’était parfait. Il n’en fallait pas plus à mon fils pour le faire craquer ce soir là.

Je n’ai pu lui répondre qu’une chose, on arrive ! Au fond de moi je suis tellement contente qu'il ait eu la force de prendre ce téléphone et de nous appeler mais je ne peux m'empêcher de penser au cas contraire, qu'aurait-il pu arriver?

La route est longue jusqu'à Montpellier, comble de malchance l'autoroute est fermée, les axes secondaires saturés, comment être sûr que ça va bien aller jusqu'à ce qu'on arrive... Il faut trouver une solution, ses amis ne répondent pas... j’arrive à joindre les voisins, ils le conduisent à l'hôpital, pas pour la gravité de la blessure physique apparent mais pour l'autre, je ne veux pas le savoir seul... 

Une chose est certaine on le ramène à la maison.

Aux urgences, on nous refoule, il est majeur, par temps de covid pas de visites ! Les heures défilent, et rien ne bouge, la personne devant nous attend depuis cinq heures, entre temps un hélicoptère atterrit. Mon fils craque, lui d’habitude si patient sort des urgences, on récupère ses affaires, on trouvera un autre hôpital, sa main est toujours douloureuse… Finalement rien de cassé, en tout cas, rien de visible à la radio, pour le reste, on le récupère comme un naufragé après la tempête, lessivé, on repart à trois heures du matin chez nous, pour se rassembler et l’aider à se réparer avant les dernières épreuves.

Dernières épreuves qu’il ne travaillera pas, comment rattraper une licence de maths physiques après les partiels de PASS, comment enchainer un semi marathon le lendemain d’un marathon. Alors il essaie de reprendre la vie, une virée en mer, se rendre présentable, se nourrir de lectures.

Et puis, l'inévitable aller-retour à Montpellier pour émarger, répondre à quelques questions, se sentir de nouveau dévalorisé, impuissant... A peine sorti d'épreuve, on s'en va vite, on part, on laisse cela derrière nous, comme quand on claque la porte en pensant pouvoir tout oublier...

Ils sont nombreux comme mon fils à être anéantis, hagards, à avoir renoncé à réviser l’inrévisable, une semaine pour rattraper un semestre… N’arrivant plus à se lever pour se coller à ce détestable écran qui leur sort par les yeux, et cette solitude pour tout affronter, même les affres des changements de règles en plein combat. En effet, une semaine avant l’examen final, on leur apprend que finalement leur note de mineure comptera pour être pris en LAS2, car contrairement aux promesses faites à la légère en début d’année, il n’y aura pas assez de place pour tous les PASS non pris en MMOPK, le niveau est trop élevé, il y aura trop de recalés à valider leur L1, c’est un comble !

Mon fils cherche encore cette deuxième chance martelée par Madame Frédérique Vidal, espérant encore être admis pour l’oral, partagé entre espoir et crainte d’une ultime injustice. La réforme se passe mal, Madame la Ministre, et les étudiants l’ont bien compris.

Sabine C.

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