Parce que je suis sensible et dévouée, je ne m’imagine pas autrement que dans le soutien, l’accompagnement d’autrui.
Parce que je souffre depuis quatre ans d’une pathologie rare, parce qu’on ne peut me guérir, parce que je connais par cœur les services de certains hôpitaux dont le nombre dépasse celui de mes doigts, je veux apaiser la souffrance des autres, avoir le pouvoir d’offrir à chacun le droit de se sentir vivant, avec légèreté. En vie. Parce que cela n’a pas de prix.
Et j’ai entrepris, au prix d’efforts parfois surhumains, la première année d’études de santé, en 2020, la mauvaise année. L’an dernier, ma vie était reliée à des machines, et j’ai passé celle-ci dans 20 m2, un studio avec petit jardin. Mon seul horizon. Lui aussi clôturé par des barrières. Sans échappatoire.
Je n’ai pas le choix, si je veux réussir mon projet, je dois me donner à fond. Des journées entières entre écran d’ordinateur, bureau, polycops. Un jour, vingt jours, deux cent soixante-dix-neuf jours. Sans répit. Sans pause. Sans évasion.
Parce que c’est une année de réforme, parce que je suis la promotion de l’entre-deux, parce que je n’ai pas pu l’an dernier suivre mes études, je dois être parmi les meilleurs. Mais pas comme les Paces, l’an dernier. Je dois être dans les excellents. Je n’ai pas le choix. On m’a imposé les taux de réussite du passé. On me prive du droit de refaire mon année.
Parce que je suis de santé fragile, sans voir personne d’autre que ma famille, j’ai attrapé la COVID. J’ai passé plus de dix jours alitée, incapable de me nourrir. Un mois après j’ai attrapé une gastro sévère. Mon corps ne résiste à rien. Il est trop faible. J’ai repris les polycops, les cours en visio, les QCM. En pleurant un peu plus encore. En m’épuisant encore. Je n’ai pas eu le choix. Les épreuves du premier semestre approchaient à grands pas. Je ne voulais pas céder.
Je n’ai pas eu le choix. J’ai dû choisir sans guère d’informations une matière "mineure". Ce qu’on y enseigne n’a rien à voir avec mes goûts. Je l’ai choisie sans conviction. Parce qu’il fallait. Et que je n’avais pas le choix. J’ai pris Physique en espérant que cela m’aiderait pour la rude épreuve du programme qu’on aurait à travailler au second semestre. Cela n’a pas été le cas. De toutes façons, rien ne me convenait. Je n’étais pas prête à choisir. Je voulais réussir mon année pour devenir médecin. Pour soigner, accompagner, sauver… Je ne veux pas calculer des forces en orbite. Cela n’a aucun sens pour moi.
Quand j’ai compris que les programmes étaient compressés, compactés, j’ai serré les dents, versé quelques larmes. Mais j’ai continué. Dans notre faculté voilà quelle était la règle. Un cours de Paces de 8h, on doit pouvoir le transmettre en 4h ou en 6h. Donner plus. Apprendre plus. Plus vite. Mieux. Je n’ai pas le choix. La fameuse physique du second semestre, elle a avalé des contenus du premier et second semestre de la Paces. Déjà que c’est une matière difficile, c’est devenu hors d’atteinte. J’ai serré les dents. J’ai travaillé dur. Je n’ai pas le choix.
Je n’ai pas pris de vacances. Je dors mal. Je pleure beaucoup. Je serre les dents. J’ai perdu du poids. Je suis l’ombre de moi-même. Je n’ai pas le choix. Je continue. Mais je me demande pourquoi.
Il a fallu encore travailler cette mineure. Sueurs froides. Face à ces cours, compliqués. J’ai perdu définitivement le goût. J’aimais apprendre. Je n’ai plus envie. Plus une once de courage. De la résignation. Seulement.
Maintenant, je reçois les modalités d’un oral. Je dois encore me préparer à passer une épreuve que je ne maîtrise pas. Où trouver l’énergie ? Je ne sais pas même pas si j’y aurai droit.
Comme si cela ne suffisait pas, un mail m’administre encore des recommandations dématérialisées parce que je dois faire un choix. Une LAS2, la ministre l’appelle la « seconde chance ». En réalité, c’est ma torture finale, extrême. L’insoluble résolution. Je ne veux pas de la physique, pas plus de la chimie, ni de rien d’autre d’ailleurs. J’étais une excellente élève. Je ne me sens plus capable de rien. Aide-soignante ? Au mieux infirmière. Surtout pas d’une année où le sacrifice ne conduit qu’à l’échec. Surtout pas d’une année à batailler dans le vide, maltraitée par l’absurdité. J’ai coché. Sans goût. Sans envie. Sans vocation. Pas possible de réfléchir à soi, d’avoir une ambition. Il faut se conformer à un bataillon de filières présélectionnées. Pas le choix, encore, encore, …
On a fait de moi une abrutie, une essoufflée, une marionnette. À l’oral, je crois que je saurai dire « oui », même pas « non ». Trop peur. Trop découragée. Épuisée. Massacrée. Le mot n’est pas trop fort. De l’intérieur et de l’extérieur, je me sens massacrée.
J’irai à l’oral si c’est « ma chance ». Je n’ai pas le choix. Mais je n’ai pas le courage non plus.
Tout le monde continue de me dire que « je suis faite pour ça ». J’ai l’impression que personne ne comprend ce qui m’arrive. Ce que je vis. Ce que je ressens.
En moi résonne : on m’en rajoute encore, encore, encore…. Et je n’ai pas le choix.
Dans l’antiquité, la déesse Fortune imposait aux hommes un sort fatal, sans compassion. En 2021, c’est l’État qui m’anéantit de sa réforme mal préparée, c’est l’université et ses quotas qui brisent mon avenir.
Sarah G.