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Billet de blog 2 avril 2023

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Et la bougie bougea

« Bouge de la, bougie ! ». La bougie n’est pas sûre d’avoir bien entendue, d’abord parce qu’elle n’a pas d’oreilles, et ensuite parce qu’elle trouve l’injonction bien curieuse. En effet, une bougie brûle ou ne brûle pas, mais bouger pourquoi ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Demander à une bougie de bouger est une bien drôle d’idée. On peut lui demander de brûler, voire de fondre, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. On brûle de fureur ou on fond en larmes. Mais qu’une bougie bouge, quel est le projet ? Deux explications sont possibles. Soit il s’agit d’aller éclairer ailleurs, soit il s’agit de ne plus éclairer ici. Cela revient au même, mais la démarche n’est pas la même. Si l’on choisit d’aller éclairer ailleurs, c’est l’aventure qui nous guide ou bien la quête d’une solution à un problème. Si l’on choisit de ne plus éclairer ici, c’est la fuite qui nous anime ou bien la volonté de cacher ce qui ne saurait être vu. 

La quête

On imagine naïvement que le terme éclairer connote l’émerveillement. Pourtant, il n’est écrit nulle part dans les lois de la nature que l’obscurité drape le sublime. Faites l’expérience par vous même, allumez l’interrupteur et constatez le résultat : la vue proposée valait – elle vraiment mieux que l’obscurité ? Parfois oui, parfois non. Le voile n’est pas sectaire, il peut abriter le beau comme le moche, le désirable comme l’infect, un nouvel horizon comme du déjà vu, une réponse à une question ou un cul de sac technique. Malgré cette incertitude consubstantielle à l’obscur, il faut bien reconnaitre que le genre humain a toujours préféré prendre le risque d’éclairer le mystère. Peut être était – ce juste un réflexe d’ordre pratique, la torche par exemple lui ayant permis de ne plus se cogner contre les murs de la caverne.

Plus tard, l’Homme obscur estima alors qu’éclairer ici ne lui suffisait plus. Il lui fallut éclairer là - bas. Un geste improbable et décisif pour la suite. L’homme du bocal à mouches venait de réaliser que ses parois de certitudes étaient bien trop étroites pour comprendre la nature des choses, car « la pire des prisons est celle dont on ne voit pas les murs » comme nous le rappelle le logicien hors - sol Jean Yves Girard (Yann-Joachim Ringard de son pseudo). Ainsi donc, bien des années avant que le mathématicien hors - normes David Hilbert ne s’exprime à ce sujet, l’Homme bardé de sa peau de bête décida de bouger la bougie pour éclairer ici et là, car : « ll ne doit pas y avoir d’ignorabimus ». Plus prosaïquement, on rappellera l’adage reprochant à celui qui a perdu ses clefs de ne les chercher que sous le lampadaire. Une métaphore éclairante sur notre biais à tous d’ânnoner la leçon, au lieu d’oser le pas de côté. 

La fuite

Et puis on peut bouger la bougie pour fuir ou cacher. Dans les deux cas, il s’agit de recouvrir le réel local d’un voile qui nous protège de sa vue. « Vas éclairer ailleurs si j’y suis ! ». Très différent de la quête vue plus haut, la fuite cherche à quitter les lieux, et non pas à en sonder d’autres. Quitter les lieux est la cause d’une conséquence qui est d’aller en visiter d’autres. On veut fuir ce qui fait face, nous indispose ou nous menace. On demande donc à la bougie de bouger afin qu’elle cesse d’éclairer ici pour aller éclairer ailleurs, n’importe où on s’en fout. Il faut éclairer ailleurs c’est tout, mais surtout pas ici.

Bouger la bougie est alors interprété comme une fuite. Mais de fuite, il y a deux motifs. L’un salutaire, l’autre pas très fier. Le premier cas de fuite, salutaire donc, est celui du réflexe de survie. C’est lorsque ce qui est éclairé menace de s’en prendre à nous, la lumière agit alors comme un formidable lanceur d’alerte pour celui qui éclaire, mais aussi comme un effroyable adjuvant pour celui qui est éclairé puisque les moyens de son agression sont alors démultipliés par la vision qu’il a de sa victime. Le deuxième cas de fuite, pas très fier, est celui où ce qui est éclairé nous déplait, n’est pas conforme aux attentes que l’on se fait du réel, aux valeurs que l’on impose aux actes du genre humain. Bref, le réel n’est pas celui promis, on a honte de ce qu’il nous montre, mais par contre on n’a pas honte de fermer les yeux. Bouger la bougie revient alors être aveuglé par l’obscurité, ou être sourd aux appels à l’aide, comme une forme de silence imposé aux cris de détresse.

 Bouger la bougie, je crois qu’on a presque tout dit. À moins qu’il ne subsiste quelque… merde, elle s’est éteinte.

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