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Billet de blog 3 avril 2022

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Politique : l'erreur, le mensonge, et l'ânerie

Plus vous parlez, et plus la probabilité que vous racontiez une ânerie augmente. Quand il s’agit du politique, cette probabilité confine à la certitude.

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Le politique parle beaucoup, il s’expose donc à dire pas mal d’âneries. Cela ne dit rien des qualités ou défauts de l’orateur. Ce sont juste des statistiques. Le politique est bavard donc, et à vrai dire on ne sait toujours pas pourquoi. D’où lui est venue cette étrange idée que parler pouvait lui faire dire moins d’âneries que de se taire ? 

En fait, le candidat considère le silence comme une stratégie trop risquée. Il est vrai qu’on fait vite le raccourci entre « ne rien dire » et « ne rien avoir à dire ». Un candidat qui ne s’exprime pas est soit débile, soit ignare, mais jamais profond. Alors, le candidat parle. Qui sait, sur un malentendu, dans le flot d’âneries déversé, peut - être une fulgurance sortira-t-elle de la bouche du candidat, sans faire exprès. 

D'ailleurs, l’Humain n'est pas la seule espèce à adopter une telle stratégie. Certes, on a jamais vu un singe crier sans discontinuer pour tenter de convaincre sa troupe qu’il a le meilleur programme. Mais, on a quand même un peu de ça chez notre cousin. La science a d'ailleurs remarqué un bien curieux phénomène : les singes les plus crieurs seraient ceux disposant d’attributs les moins impressionnants : Evolutionary Trade-Off between Vocal Tract and Testes Dimensions in Howler Monkeys.

Faut – il en vouloir au politique ? Ce n’est pas si simple. Tout dépend de l’ânerie ou de l’âne.

L’erreur

L’ânerie peut être tout simplement une erreur. Le politique qui se trompe peut mettre cela sur le compte de l’erreur de jugement, il n’a pas eu l’intention de faire une erreur, c’est juste qu’il ne connaissait pas la bonne réponse. En fait, il était juste incompétent à dire le vrai, mais il ne le savait pas. On ne peut quand même pas reprocher à quelqu’un qui essaie, de ne pas réussir. Une erreur ça arrive, même aux meilleurs.

A moins que celui qui se trompe, se trompe trop souvent pour être honnête, que son taux d’erreur dépasse les lois de l’entendement ou de la statistique tout simplement. L’erreur est un droit certes, mais persévérer dans l’erreur est un luxe, que seuls deux types de politiques peuvent se payer : l’abruti et le dictateur.

Le mensonge

L’erreur dit ce qui est faux. Mais dire le faux ne signifie pas qu’on ait l’intention de le dire. Pour cela, il faut que l’ânerie soit un mensonge. Le politique qui ment, lui connait la vérité. En effet pour dire le faux, il est bien obligé de connaitre le vrai. Le problème du menteur, c’est qu’il ne peut faire qu’un usage limité de son arme, le mensonge : « si tu me trompes une fois, honte à toi ; si tu me trompes deux fois honte à moi ». A moins d’avoir affaire à des abrutis.

Mais mentir tout le temps cela peut finir par être un peu lourd, même pour le menteur invétéré, lourd comme un fardeau. L'éternel retour du mensonge « n’a pas la circonstance atténuante de la fugacité éphémère », Kundera dans L’insoutenable légèreté de l’être. Il faut que le politique menteur donne quand même l’espoir qu’il puisse dire le vrai au moins une fois, qu’il soit potentiellement un parrèsiaste éclairé. Juste un zest de félicité.

L’ânerie, celle de l’âne

Enfin il y a le politique qui dit réellement des âneries. Ce n’est pas qu’il se trompe ou qu’il mente, c’est juste qu’il dit des âneries, des choses impossibles, inconcevables, antinomiques, des choses qui ne résistent pas à l’épreuve des faits, des expériences, de l’Histoire, au bon sens. Chacun aura son petit exemple en tête, en fonction du camp qu’il défend.

Ce genre de personnage n’est pas forcément le plus dangereux, à moins qu’on lui donne les moyens d’exprimer son inaptitude à la chose. Il n’est pas non plus le plus intéressant, mais il existe : On Bullshit. Il peut ainsi vous balancer des inepties à longueur de journée, tant que vous êtes là à l’écouter. Tendez-lui un micro, et il émettra du son. Un genre de bruit de fond, pas forcément désagréable, mais pourquoi faire ?

L’âne : mode d’emploi

Et puis, l’ânerie dépend aussi du camp que vous avez choisi de défendre. Dans votre camp, elle passera pour une figure de style, un fait alternatif, une taquinerie envers l’adversaire, ou simplement une erreur mineure, voire l’expression du fameux « la fin justifie les moyens ».  Dans le camp adverse, elle passera pour un mensonge éhonté, la preuve que le candidat n’est pas sérieux, qu’il n’est pas compétant pour diriger un pays, que la vérité est décidément bien mal menée de nos jours.

Enfin, il y a le camp neutre, celui qui ne vote pas, ne sait pas pour qui voter, ou ne sait pas qu’il y a des élections. Celui-là hésitera entre le désenchantement et le désenchantement. Il passera à autre chose, ou bien repassera en boucle, pour être sûr qu’il a bien entendu. Il est possible alors que n’ayant rien prévu pour la journée, il se décide à avoir une attitude constructive sur le sujet. Par exemple, il cherchera à savoir qui ment le mieux, le plus, ou sans le faire exprès. Après quelques minutes de réflexion, il aboutira une classification assez simple mais largement suffisante du politique candidat :

  • Il y a l’extraterrestre, celui qui dit ce qu’il fait, et qui fait ce qu’il dit. Il est tout à fait possible que ce genre de politique ait existé par le passé. Mais il ne semble pas que l’on puisse en croiser encore de nos jours. Il s’agit d’une espèce protégée qu’on-a pas su protéger à temps.
  • Il y a le cas standard, celui qui dit ce qu’il fait, et qui ne fait rien, ou l’inverse, ou qu’à moitié et c’est déjà pas mal. Celui-là est assez répandu, voire constitue une espèce nuisible. Mais bon, on ne va quand même pas l’empêcher de s’exprimer.
  • Il y a le dictateur, classique, celui qui ne dit pas ce qu’il fait, mais qui fait quand même. A vrai dire, on en croise plus si souvent. Aujourd’hui, il faut un minimum parler à la populace, même dans les dictatures. Ne serait – ce que pour faire savoir que le dictateur sait ce que l’on a besoin de savoir.
  • Enfin, il y a aussi le dictatruc, un genre de dictateur 2.0 qui dit ce qu’il fait, et qui fait bien ce qu’il dit… mais c’est bizarre, on l’aurait pas dit de la même façon. Et quand bien même le dictatruc finirait par être contredit par le fait, ce n’est pas lui qui a tort, mais c’est le réel qui se trompe. Le dictatruc n’a pas lu Clément Rosset, mais il n’en a pas besoin : il se fabrique un double du réel à sa convenance.

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