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Billet de blog 4 septembre 2025

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Taxe Zucman : terrible malentendu

On reproche à la taxe Zucman ce qu’elle n’a jamais prétendu faire. Le vrai enjeu de la taxe Zucman, ce n’est pas de redistribuer mais de prendre. Ou plutôt reprendre. Reprendre aux uns ce dont les autres ont été privés

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Il s’agit d’un terrible malentendu. Sans prendre parti, on n’en reste pas moins sensible à l’erreur de jugement. Les principales critiques de la taxe Zucman sont celles liées à la faible efficacité de ses effets de redistribution sur les ménages les moins aisés, ou à des effets de redistribution déjà existants mais mal pris en compte par Gabriel Zucman dans ses calculs. On écartera les autres critiques (risque d’évasion fiscale, anticonstitutionnel, menace pour l’investissement…) plutôt techniques mais qui n’épuisent pas le champs des possibles une fois qu’on se retrousse les manches.

Or le véritable enjeu de cette taxe n’est pas de redistribuer mais de prendre. Donc inutile de critiquer le volet de la redistribution puisque là n’est pas l’enjeu. Il ne s’agit pas de redistribuer aux classes moins aisées ce que l’on prendrait aux très aisées, ceci n’est qu’une externalité positive ou négative selon le courant de pensée que l’on affectionne. Le véritable enjeu est de prendre seulement. Prendre aux classes trop aisées, le reste est accessoire. Redistribuer aux classes moins aisées est accessoire, prendre aux classes trop aisées est nécessaire. C’est une question de santé publique, au risque de basculer dans une forme d’hysterie collective. Il faut défendre les vertus apaisantes de la taxe Zucman et non pas ses éventuels effets positifs sur la demande. En effet, l’exubérance des uns confine à l’incohérence du tout. Et l’incohérence  est la première cause d’effondrement, en sciences sociales comme en mathématiques pures. D’une certaine manière, la taxe aurait aussi des vertus apaisantes pour le trop riche, puisqu’elle le protègerait contre quelque désir ardent de gagner un peu plus que ce dont il n’a déjà plus besoin. Nous sommes des machines désirantes à la Deleuze, c’est une chose. Une autre chose est d’entretenir ce désir lorsqu’il est corrompu.

Redistribuer. Un terme perverti par les âges. Un verbe qui accuse au lieu d’apaiser.  Vous êtes accusé de freiner la locomotive, véritable boulet de l’économie. Vous aviez tout pour réussir, élever le niveau du groupe, fourbir la bête économique. Vous aviez toutes les cartes en main, la société croyait en vous, la preuve elle vous donnait carte blanche pour exprimer vos capacités, déployer tout votre potentiel. Au lieu de cela, vous avez failli, vous avez déçu, vous avez trahi la promesse que vous aviez faite à la société. Peut être les circonstances étaient atténuantes comme on dit. La famille, les problèmes de la vie, tout ça. Mais c’est aussi votre faute quelque part. « Vous n’avez pas été bien avisé dans le choix de vos conditions initiales » (The Lost city of Z). Présenté avec de tels arguments, réclâmer une taxe redistributive est plutôt osé, il faut faire preuve d’un sacré culot pour réclamer davantage de justice sociale quand on est la cause d’un manque à gagner pour les autres. L’Etat social n’a pas écrit pigeon sur son front. Tu m’as eu une fois, tu ne m’auras pas deux fois. Mais bon, je suis charitable. Tu veux que je t’aide, je t’aiderai. Mais à condition que tu le mérites. L’état social a été démis de ses fonctions par l’air du temps, comme expliqué plus élégamment par Sacha Lévy -  Bruhl. Une raison de plus pour ne pas mettre l’accent sur l’effet redistributif de la taxe Zucman. Ce n’est pas cela qui doit la motiver.

Non, redistribuer n’aurait jamais dû être l’argument mis en avant pour réduire les inégalités. Et ce, même si elles les réduisent de fait. Tout simplement parce que réduire les inégalités ne fait pas consensus, depuis la nuit des temps. Inevitablement, chaque injonction à réduire les inégalités se trouve enfourchée par Hume: « on ne peut pas déduire ce que l’on doit faire de ce qui est ». Autrement dit, les idéaux sont des normes pas des vérités gravées dans le marbre. Dans notre cas, ce n’est pas parce qu’il y a des inégalités qu’il faut les réduire…On a le droit d’avoir des convictions, ce ne sont que des opinions. Raymond Bourdon le dira plus pompeusement : « Aucun raisonnement à l’indicatif ne peut engendrer une conclusion à l’impératif ». Raisonnement à l’indicatif : il y a des inégalités. Conclusion à l’impératif : il faut les reduire. Pour ces raisons encore, avancer l’argument de la redistribution pour justifier la taxe Zucman n’est pas ce qui doit être mis en avant. Juste prendre. Et déjà ça fait du bien.

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