Nous nous sommes égarés. La causerie politicienne s’est bien trop attardée sur les qualités requises et les défauts rédhibitoires qui devaient accabler un premier ministre. Nous avons bien trop glosé sur l’incarnation angélique d’un premier ministre passe - muraille, capable de traverser les murs de l’assemblée sans se cogner contre les censures. En vérité, le sujet est ailleurs. Car la nomination du premier ministre bouscule nos préjugés et autres fausses croyances. Nous pensions qu’il existait une différence indépassable entre l’aléatoire d’un côté et le nécessaire de l’autre côté. Nous pensions aussi qu’entre ces deux extrêmes, il existait un chemin possible parsemé de nuances : le probable, l’incertain, le possible, le contingent, le déterministe, etc…
D’un trait d’un seul, nous pouvons biffer toutes ces impénétrables nuances. Emballez – moi tout ça dans un sac, et que l’on n’en parle plus. Nul mauvais esprit ou esprit querelleur, peut – être une tentative de sauver la morale de l’histoire. Car ce que nous révèle l’expérience de la nomination du premier ministre ; c’est qu’il n’y a plus lieu de considérer qu’un lancer de dés diffère du nécessaire. Toutes les nuances jusqu’alors proposées pour aller du point Bouche bée au point Beta sont caduques, Comme une palette de couleurs rendue obsolète par la tonalité grisouille du tableau rendu.
L’exploit n’est pas mince, car il y avait de quoi faire. Ci-dessous l’état de l’art juste avant le miracle.
Aléatoire : on tire un ministre au hasard
Contingent : peut - être que ce sera lui, peut - être pas
Incertain : mais on sait qu’un ministre sera choisi, ou pas
Possible : il est tout à fait possible que ce soit lui
Probable : … mais il est plus probable que ce soit un autre
Fortuit : à moins que les dés soient pipés dès le départ
Déterministe : en fait, il suffit juste de connaitre les règles du jeu
Nécessaire : les derniers seront les premiers (?)
Désormais, toutes ces définitions n’en font qu’une. Du hasard à la nécessité, il n’y a qu’un trait, voire une ligne sans épaisseur comme dirait l’autre. Hasard et nécessité, les deux en même temps. Rien à voir avec l’expression du Monod. Quoi que. Marrant. Qui aurait cru que la politique nous éclaire.