Qui suis- je ? C’est la quête d’identité. Où vais - je ? C’est la quête d’immortalité. Répondre à ces deux questions, telle est notre bi-quête. Telle était notre bi-quête devrais je dire. Car nous avons délégué cette tâche à l’IA, à moindre coût existentiel. Le projet ? Nous libérer de l’angoisse de la mort en nous déchargeant d’exister. Il faut dire que nous avons tout tenté depuis tellement longtemps. Mais la bi-quête est restée sauvage, rétive à la moindre tentative de l’approcher. Le moi est resté mortel, et le mortel n’aura jamais su qui il était vraiment. Mort sans avoir vécu, nous sommes un bug.
La quête d’identité
Les penseurs du moi en ont toujours fait des caisses. « Qui est moi ? Suis – je sûr que moi c’est moi ? Pourquoi y a-t-il un moi plutôt que rien ?… » Mouais. La cour du moi a toujours été nombreuse. Tout le monde tourne autour du moi depuis bien trop longtemps. Ils le tâtent (philosophes), le sondent (neurosciences), le torturent (psy). Mais le moi n’avoue jamais. Peut - être le moi est - il muet, ou bien n’a rien à dire, voire n’existe pas. Le moi nous mène en bateau depuis le début, mais pas n’importe quel bateau. Celui de Thésée, tarte à la crème des philosophes de l’identité. « Si je t’enlève une planche usée, et que je la remplace, est – ce que tu es toujours le même ? Ou un peu moins le même ? Et si je recommence jusqu’à avoir tout remplacé, est – ce que tu seras toujours Thésée ?... », et si je change l’anus de Thésée continuera t’il de chier des âneries ? Ou bien son identité sera t’elle altérée par quelque amendement à sa liberté d’excrétion. La quête de l’identité a échoué dans la cuvette.
La quête d’immortalité
Le vivant s’est toujours montré obtus. Incorruptible. Il fallait une fin à son dessein, et rien ne pouvait le dévier de son chemin. La mort au bout et voilà tout. Merci bonsoir. Adieu plutôt. Charitable, le vivant nous accordera un peu de rab d’existence, à coup de pilules, prothèses, perfusions. Mais quelques années de plus sur l’échelle de l’éternité, quelle différence avec des pets de mouche ? Alors puisque les dés étaient pipés dès le départ, il fallut bien nous faire une raison. Nous tentâmes de nous convaincre que l’immortalité n’était finalement pas si insupportable à vivre. Pèle - mêle, « comment peut on souffrir de la mort puisque quand elle est là on n’est pas là, et quand elle est pas là on existe », un classique, Epicure. Plus subtil, Lucrèce, « si l’on angoisse de mourir trop tôt, pourquoi n’angoisse t’on pas d’être né trop tard ? »… et le coup fatal, «mourir d’ennui n’est il pas pire que mourir tout court ? », l’affaire Makropoulos, effectivement qu’est ce qui nous garantit que le reste à vivre vaut la peine d’être vécu ? Autant de bouts de ficelle ayant pour seul objectif de nous consoler, car évidemment nous avons échoué. Nous sommes restés mortels.
L’IA au chevet
Mais la bi - quête a repris du poil de la bête ces dernières décennies. Elle a fini par se laisser approcher. Par l’automate, la bête à bits, l’IA. L’homme des data centers s’est pris à croire qu’il pourrait enfin achever sa quête d’identité et d’immortalité, en quelques clics. Parce que « la technoscience n’élimine pas le spirituel, elle le recycle », sympathique expression de Régis Debray.
Nous nous sommes laissé cueillir par l’aire du temps. La pulsation du bit plutôt que la mélodie du vivant. On est plus proche de Kraftwerk que de Mozart, mais qu’est - ce que ça peut faire. Et puisque tu sais tout mieux Faire que moi, peut - être que tu sais aussi mieux Être que moi ? Tiens, prends tout. « Je te donne mes notes, je te donne mes mots », comme dit l’autre. Optimise - moi tout ça, fais - moi converger, je veux être ton point fixe. Tu seras ma nouvelle voix intérieure, mon alter - algo, mon perroquet stochastique, tu veux bien penser à ma place ? Tu sais déjà répondre à toutes les questions que j’aurais dû me poser, tu ne retiendras que le meilleur du reste à vivre et chassera les erreurs dans la corbeille. Bien au chaud dans le Cloud, la meilleure version de moi me survivra. Moi en attendant, je file tout droit sur le canap, spectateur de mon avatar. Après tout, qu’est - ce change, n’ai - je pas fait que vivre au bord de ma vie, tel le Virgile d’Ermann Broch ? Et si l’IA n’est pas encore tout à fait au point, pas grave, une clef USB dans le fion fera l’affaire.
« Quelqu’un mourra, mais qui mourra ? Peut - être les pensées qui me constituent vont elles tomber peu a peu les unes après les autres dans l’oubli, de sorte que je disparaitrai peu a peu, sans m’en rendre compte, sans mourir, laissant la place a celui qui mourra a ma place », Stéphane Chauvier