Hier quand j’entendais les gens parler, il y avait l’évidence, il y avait l’indulgence. Troublante sérénité d’une langue commune liant les êtres doués de langage. Les mots du monde trottaient par petits groupes, et s’échangeaient de bouches à oreilles. Ils n’avaient rien à dire de particulier, ils étaient juste là en écho de la pensée.
A vrai dire, les mots ne me concernaient pas. Le monde pouvait se lire sans qu’on s’y reprenne à deux fois. Et les rares erreurs produites relevaient davantage de la fatigue que de la faute grammaticale. Le monde restait globalement cohérent dans son expression, au sens où il était comprehensible de tous.
Mais il s’est produit quelque chose. Je ne sais plus lire le monde. Impossible de comprendre quoi que ce soit des images qu’il me montre, des sons qu’il émet, des faits qu’il produit. Vaguement parfois, il me semble reconnaitre quelques mots ou intonations du monde d’avant. Et puis de nouveau l’absence totale de sens. Tout m’échappe. Ma grille de lecture n’a plus aucune prise sur les évènements en cours. Mes shémas de pensées s’épuisent contre ce qui lui parait désormais insondable.
Je n’ai plus les codes de ce monde. Je suis perdu. Et je crois bien que je n’ai pas envie de me retrouver. Ma langue me convient. C’est juste qu’elle n’habite plus ce monde. Je veux rester celui qui habite un monde qui n’existe plus. Puisque le monde d’aujourd’hui n’a plus rien à me dire d’intelligible. Je suis peut être devenu un étranger pour ce monde, mais je ne deviendrai pas étranger à moi même. Et si la langue officielle du monde est désormais celle des fous, je veux bien être incompréhensible pour les autres.
Au bal des fous je vais devant
J’ai des livres, énormément
Que je ne lis ni ne comprends.
Brant