En temps normal, l’investisseur achète d’abord, et cherche une raison après. D’ailleurs, tout le monde fait comme lui. Ainsi la bourse monte tout le temps, car on finit toujours par lui trouver une raison de monter. Mais il arrive un moment quand même, où quelque chose se passe. L’investisseur est pris de palpitations, sueurs et tremblements. Il ne comprend pas. Il sent bien que quelque chose d’inhabituel est en train de se produire en lui. Une pulsion dont il ne connait pas le nom. Une envie irrépressible de quelque chose qu’il ne sait pas satisfaire. Et il sait que c’est la bourse qui le met dans cet état là. Mais que faire ?
Il a bien quelque indice. Il voit bien qu’à chaque nouvelle hausse de la bourse son état empire. Il monte en pression. Son corps demande une réponse. Mais quel geste pour le satisfaire ? « Aidez – moi, que m’arrive t’il ? ». La bourse s’envole, lui tremble, mais il ne saisit pas. Il ne comprend pas ce que son corps lui demande de faire.
Chloé non plus n’a pas compris. Voyant Daphnis à demi – nu, elle ne sut que faire de la fièvre qui l’étourdit alors. Les jambes en coton, le corps en fusion. Mais ce désir infernal, sans mode d’emploi, Chloé l’innocente ne le comprend pas. Son corps la supplie, mais elle n’a pas les codes. Elle ne sait pas traduire sa fièvre. Une frénésie sans nom, mais pas sans effet.
Pauvre investisseur, qui souffre de ne pas savoir. Il ne sait pas que cette bourse qui monte de trop lui devient insupportable, parce que justement elle est insupportable. L’équivocité de ce mot ne lui parle pas. Il ne ressent que l’insupportable sensation physique, mais ne conçoit pas l’insupportable raison économique. Celle qui l’implore de vendre là maintenant.
Pourtant, il a bien appris sa leçon. Il sait que lorsque la bourse est infidèle au réel, elle finit par être rappelée à l’ordre. Chez lui on appelle cela la valorisation des marchés. Et il se souvient très bien de ce prélude au déluge… « lorsque les niveaux atteints par la bourse promettent des croissances de bénéfices des entreprises incompatibles avec le potentiel de croissance de l’économie… ».
Mais il ne voit pas le rapport avec sa situation. Il ne fait pas le rapprochement. Il est inapte au raisonnement. Parfois pourtant, l’investisseur semble proche d’une fulgurance, de l’illumination enfin, celle nécessaire pour entrer en résonnance avec la raison. Mais très vite, la machine désirante se met à l’œuvre et lui trouve une raison d’acheter encore… « la croissance économique sur le point d’être transcendée par une révolution technologique majeure, promettant une croissance exponentielle… ». La hausse de la bourse semble inaliénable. Son apex est un horizon éternel.
Pauvre investisseur. Abruti par l’erreur. Il sait acheter mais ne sait pas vendre. Pourtant, il sent bien qu’un drame se prépare. Mais ne sait que faire de cette sensation. Alors il achète par défaut, puisqu’il ne sait pas vendre par dépit.