Bizarre cette histoire des faux souvenirs. Être persuadé d’avoir vécu un évènement traumatisant, et puis non. C’était pas si terrible en fait, voire rien n’est jamais arrivé. Nous avons fantasmé la chose, sublimé ou dramatisé un passé insipide, fade, presque invisible. Evidemment, si les faux souvenirs existent vraiment, alors les faux témoignages existent aussi, mais à l’insu de notre plein gré. On dit juste ce dont on se souvient, mais on ne dit pas que cela est vraiment arrivé. Pire, il est possible qu’on nous ait fourré un truc dans le crane, et qu’on croit dur comme fer l’avoir vécu.
OK pour les faux souvenirs. Mais il y a pire je crois. Ce sont les faux avenirs.
La science ne s’est pas encore penchée dessus me semble t’il, et pourtant je crois bien que c’est un sujet qui va devenir bien plus préoccupant que les faux souvenirs. Les faux avenirs seraient une version symétrique des faux souvenirs. On n’est persuadé qu’on vivra un jour certaines choses agréables, souhaitables, voire nécessaires. Mais en fait on ne les vivra jamais. C’est impossible. Pour plusieurs raisons. Soit parce que nous serons incapables de les réaliser. Soit parce qu’on nous empêchera de les réaliser.
Nous sommes inaptes à vivre un avenir désirable
La première explication du faux avenir retient donc notre incapacité à réaliser le projet prévu. Nous serions incompétents à honorer la promesse que nous nous fîmes. Après tout pourquoi pas. Nous avons tous une fâcheuse tendance à nous trouver meilleur que les autres, moins cons que la moyenne. Il n’est donc pas étonnant que nous nous fantasmions quelque peu, et que nous projetions des choses qui ne sont pas censées pouvoir nous arriver. Cette explication du faux avenir est dans nos gênes en quelque sorte. Il faut l’accepter, puisque nous sommes faits comme ça. Nous serons déçus à la fin, c’est écrit dès le départ.
Nous sommes rendus inaptes à vivre un avenir désirable
La deuxième explication du faux avenir est bien plus problématique, et malheureusement bien plus d’actualité. Cette explication retient l’hostilité du monde, ou bien quelque sournoise divinité, ou encore un projet funeste du planificateur bienveillant à notre encontre. Quelle que soit la raison retenue, toutes condamnent nos rêves à l’éveil, récusent toute possibilité de nous élever un peu, de passer du - au +. Rien à voir avec un quelconque complot, il s’agirait juste d’une mécanique impossible à dérégler. Un énorme caillou dans la chaussure qui nous empêchera fatalement d’avancer, sabordera tous nos projets de vie.
Pas si vaseux que cela en vérité. En effet, on peut très bien concevoir qu’il existe désormais de faux avenirs, auxquels nous étions fondés de croire, mais qui nous sont rendus inaccessibles, parce que c’est comme ca. Quelques exemples d’actualité :
- La retraite plus tôt, plus riche, et bien portant… Faux avenir.
- La planète plus propre, plus belle, et bien portante… Faux avenir.
- L’emploi plus intéressant, plus valorisant, et moins stressant… Faux avenir.
- La saveur de la vie plutôt que la valeur de la vie… Faux avenir.
Et ce n’est peut être que le début, le retour des risques XXL ayant bouleversé l’horizon des possibles : crise sanitaire mondiale, crise géopolitique mondiale.
Nous voilà donc forts marris, ébaubis, abrutis par la nouvelle. Nous nous étions crus capables d’avoir un avenir à la hauteur de nos fantasmes, de construire un futur inconditionnel au divin ou au miracle. Athée ne suffisait plus, il fallut être autothée, puisque croire en nous-mêmes devait suffire pour avancer (Peggy). Et ben non. La route des possibles est barrée par l’autre ou l’autre, l’avenir a fauté.
Le souci de mon avenir n’est rationnel que s’il y a dans l’avenir quelque chose de désirable et de possible. En attendant, « Nous voici condamnés à vivre dans le monde où nous vivons », François Furet.