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Billet de blog 14 décembre 2025

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Que faire du reste de sa vie ?

Il y a des questions comme ça, qu’on se pose du bout des lèvres. Parce que l’on a mieux à faire, comme sortie la poubelle ou commander une pizza. Humeur.

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Que faire du reste de sa vie ? Promis, pas d’exercices de développement personnel, de psychologie positive, de pleine conscience, ou autre soupe du bien - être. Soyons sérieux. Tous ces anti – vomitifs existentiels donnent juste de quoi occuper la bande passante, de pédaler dans le vide avec le sourire d’un Lou Ravi. Mais ils ne sont pas à la hauteur des enjeux. Car il faut bien du courage pour accepter de faiblir jusqu’au bout. « Je suis petit madame, mais je ne suis pas bas », Le Rouge et le Noir.

Mais alors que faire du reste de sa vie ? Promis, pas non plus de conseils avisés, pas d’écoute bienveillante, pas d’amis qui vous veulent du bien. Au contraire, il faut mettre en garde. Tous ceux qui savent répondre à la question n’ont rien à lire ici. Ils peuvent passer leur chemin. On ne peut rien faire pour eux. S’ils savent répondre c’est qu’ils sont perdus. On ne peut pas croire quelqu’un qui sait où il va. Comment croire celui qui avance sereinement dans la vie, sans même faire attention aux murmures ? « Le néant ânonne son prénom, mais lui se moque », Mémoires d’un imbécile heureux

Les imbéciles heureux sont peut-être heureux, mais ce sont surtout des imbéciles. Ils n’éprouvent pas la sensation du vide existentiel. Comme s’ils avaient été privés des sens nécessaires au vertige. Ils peuvent vivre toute une vie durant, sans craindre qu’elle se termine un jour. Les imbéciles heureux recouvrent une grande variété de personnages, de l’intellectuel rationnel à l’idiot du village. Tous deux sont absolument différents et pourtant fondamentalement les mêmes. Ils sont inaptes à l’angoisse de la mort. Leur propre mort leur est étrangère.

Mais si on peut faire semblant d’être heureux, on ne peut pas faire semblant de vivre. On est bien obligé d’agiter les membres, bouger la marionnette comme dit l’autre. On va quand même pas rester là les bras croisés en attendant que ca se passe. Imaginez – vous rester planté là, comme dans une salle d’attente où personne ne viendra vous chercher. Stupide. Stupide ? Après tout, pourquoi pas. Pourquoi ne pas rester planté là justement, en attendant que rien ne se passe. Il faut se poser la question. Chaque instant qui passe mérite t’il qu’on se bouge ? « Ne bouge que si le geste que tu vas faire est plus beau que de rester immobile », proverbe arabe reformulé pour les besoins de la cause.

Evidemment se poser des questions à la con est un luxe que tout le monde ne peut pas se permettre. Il y a ceux qui n’ont pas d’autre loisir que de lutter. Lutter pour fuir ou avancer, je les mets dans la même catégorie, même s’ils sont très différents. Les premiers fuient un danger immédiat, une menace à leur existence. Ils sont alors animés du seul réflexe de survie, la fuite, « Je gis sous une pierre, assommé mais non écrasé, et je ne fais que me débattre », Dostoïevski, Les Démons. Les seconds sont en quête d’un idéal, un objectif, un rêve à assouvir, une ambition à réaliser, un meuble à monter, une course à gagner, un poste à obtenir, un compte à régler avec leur égo, « on dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent », Créon à Antigone. Mais je ne vois pas de différence fondamentale entre les premiers et les seconds. Les deux n’ont pas le temps de se regarder passer par la fenêtre, de faire un pas de côté pour laisser passer le quotidien. Ils sont tout occupés à œuvrer pour une tache qui mobilise tous leurs sens. L’angoisse existentielle n’est pas leur affaire. Non pas qu’elle ne les intéresse pas. Juste une histoire d’agenda.

Bon mais alors, que faire du reste de sa vie ? Pas facile de répondre, mais pas facile non plus de pouvoir se poser la question. Il faut déjà que le hasard hostile vous laisse tranquille, ne vous afflige pas de tracas ou autres malheurs qui vous empêchent d’être saisi. Ensuite, il faut pouvoir se retrouver seul avec le « moi haïssable », Ce moi de Pascal qui pourrait vous dire des choses que vous n’avez pas envie d’entendre, ou peut être ce moi qui n’a rien à vous dire et vous laisse seul avec le « silence du monde » de Camus. Même Platon s’est trompé je crois avec son « Que nul n’entre ici s’il n’est pas géomètre ». Il aurait dû dire « que nul n’entre ici s’il EST géomètre ». Car nous avons besoin de désapprendre, de nous sentir plus légers, offerts aux vents, l’aléatoire heureuse. Nous avons besoin de savoir qu’il n’y a rien sous l’épaisse couches de certitudes et des taches quotidiennes. Rien de bien important, de nécessaire ou de suffisant. De l’ombre sans objet.

Les angoissés ne sont pas malades. Les malades ce sont les autres. L’angoisse est une posture naturelle, évidente, logique, compte tenu des circonstances. Sinon, on ne s’expliquerait pas le succès d’auteurs tels que Cioran, Camus, Sartres, Dostoïevski, Tolstoï, Flaubert, Chateaubriand, Stendhal… Des romantiques, réalistes, ou existentialistes engoncés dans leur époque croyait – on, à moins qu’ils n’aient touché du doigt la vraie nature de l’Homme. Comme s’ils avaient eu le sens de la vie au bout de la langue, sans pouvoir l’énoncer autrement que par leurs œuvres.

« Je ne sais pas encore souffrir comme il faudrait, et cette grande nuit me fait peur », Rilke

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