Allez – y essayez. Pensez cette journée comme une bonne journée. Une de celle qui vous donne le sourire sans l’avoir cherché. Pas facile. Mis à part un exercice de psychologie positive, d’aveuglement volontaire, ou de niaiserie, je ne vois pas d’évidence à la bonne humeur. Et pourtant, peut – on espérer mieux ?
« Comme ces viandes qu’il faut bouillir longtemps pour en faire dégorger l’amertume », Nicolas bouvier
Au départ, nous rêvions du meilleur des mondes, où il fait bon vivre, ensemble, les oiseaux chantent, le vin coule à flot. Mais avec le temps nous apprenions à nous contenter d’un monde meilleur, un monde qui optimise, par exemple un monde qui minimise la perte maximale de la gent trotte-menu (une théorie la justice). Finalement, nous rangions nos idéaux dans le même sac que nos actes manqués et autres utopies, direction la benne. Nous nous rêvions si grands, si beaux, et si bons. De toutes les déflations, celle de nos utopies est peut - être la plus insultante. L’Homme Universel a pris une sacré claque, une de ces blessures narcissiques qui vous renvoie à votre statut de petit homme particulier. Inachevés, nous nous réalisions inachevables. Juste imparfaits, mais sans le « peut mieux faire ». Peut – être étions - nous faits pour rester médiocres. Ne nous restaient que le dépit et la mélancolie.
« Condamné à vivre dans l’imparfait, il imagine un monde édénique inspiré par la nostalgie et la perfection », Marc Eigeldinger commentant Baudelaire
Il fut donc temps de biffer notre feuille de route, réviser à la baisse nos idéaux, nos valeurs, nos croyances. Être juste de bonne humeur semblait alors une quête raisonnable. Une forme de bonheur plus pragmatique, moins sexy, mais à la hauteur d’ambitions plus accessibles. Un genre de bien - être qui se cherche une place entre le divin sot et l’imbécile heureux. Beaucoup ont dit des choses similaires. Mais comme je n’en connais pas 50, je n’en citerai qu’un : Aristippe. Plus tout jeune (av. JC), mais déjà l’époque il proposa une forme d’hédonisme raisonnable, d’éthique paresseuse, de bonne humeur comme vertu suffisante. Quelques mots qui aident à cerner le gars : « c’est de maîtriser les plaisirs et de ne pas être subjugué par eux qui est le comble de la vertu, non point de s’en abstenir ».
Juste de bonne humeur donc. Juste « Une tige où le vent vagabond se repose », Paul Valery. Pourquoi pas ? Après tout, si on au moins on arrivait à être seulement de bonne humeur, peut être alors pourrions – nous imaginer un jour être davantage ? Même pas.
Même un objectif aussi modeste qu’être de bonne humeur se cogne contre les obstacles que nous dressent le quotidien. On peut être de bonne humeur une fois comme ça, en se levant le matin du bon pied, pourquoi pas. Mais en continu, c’est une toute autre histoire. Il faut imaginer prendre la vie du bon côté, à longueur de journée, en toute circonstance. Zen, du début à la fin. Comme surfant sur « un monde tout de mesure que les vagues du temps léchaient sans le mouiller », François Sureau
Pas gagné.
Et si on fait semblant ? On triche ? Je vois pas l’idée de faire semblant d’être bonne humeur. Pourquoi faire ? Est – ce qu’en disant « quelle belle journée ! », on rend la vie plus agréable ? Il y en a qui disent un peu ça c’est vrai, les neurosciences aussi mettent en évidence un certain pouvoir des mots que l’on prononce sur notre ressenti. Perso, j’y crois pas. J’y crois pas assez pour me convaincre d’essayer. Je crois pas que « ricocher sur la vie », soit une stratégie gagnante, contrairement à ce que suggère Robert Desnos, juste une stratégie surréaliste.
Après moultes réflexions, je ne vois pas d’autre alternative que de « tambouriner avec mes doigts sur la vitre l’existence », comme Germain Nouveau, en attendant que quelque chose se passe, ou rien.