Nous aimons le vide. Nous préférons le vide au plein, c’est une évidence. Sinon on ne s’expliquerait pas pourquoi nous nous complaisons dans un tel néant. Nous n’attendons même plus le miracle, nous restons juste assis sur le banc, regardant les faits se dérouler sous nos yeux. Nous aimons le vide, et le vide nous le rend bien. Il faut dire que nous sommes doués pour le vide. Nous le pratiquons depuis tellement longtemps.
La meilleure preuve que nous aimons le vide ? Tous ces objets remplis de rien que nous fabriquons, consommons, recyclons, à l’envi, depuis toujours. Des objets qui n’attendent qu’une chose, qu’on les remplisse. Je pense à la cruche, à la boite aux lettres, aux rayons des magasins, aux cercueils. Nous aimons le vide, car il nous donne l’illusion que nous pourrions satisfaire son attente d’être comblé. Comme si le désir venait d’un vide à combler. Mais le vide ne s’épuise jamais. La preuve nous sommes capables de le regarder droit dans les yeux des heures durant. Je parle de ce qui défile sur l’écran.
Il faut nous l’avouer, le vide nous fascine. Au point qu’il nous donne le vertige. Le vertige du vide, celui de Sartres en particulier, où livrés à nous même nous sommes dépassés par cette liberté exubérante, celle de pouvoir nous jeter dans le vide par exemple. Sauf que nous restons sur le bord. Car le vide dont il est question ici est bien moins profond que le vide de Sartres. Il ne s’agit pas d’un vide existentiel, mais d’un vide moral, un vide moche en quelque sorte. Un vide qui n’osera pas se regarder dans la glace. Un vide qui ressemble furieusement au néant.
Certes, parfois il nous prend l’envie de remplir le vide d’idéaux, de quête d’un monde meilleur, de justice, de bienveillance, d’un peu de bon sens. Mais très vite, nous sommes rappelés à la raison. Le vide c’est bien ce que nous savons faire de mieux. Nous savons faire autre chose bien entendu, mais jamais rien aussi bien que le vide. La pratique du vide n’a plus aucun secret pour nous. Il s’agit d’un talent inné, que nous entretenons et travaillons tous les jours. Parfois même nous excellons. Et très rarement nous tutoyons la perfection. Il semblerait qu’aujourd’hui même nous soyons dans cet instant de grâce.
Instant de grâce. Moi aussi je vis cette expérience vertigineuse, qui a toujours fasciné les physiciens, et interrogé les philosophes. L’expérience du vide. J'appartiens moi aussi à l'ensemble vide. J’en avais déjà une vague idée. Mais là c’est beaucoup plus clair. Aucun mérite à ma fulgurance. Je ne m’en serais jamais rendu compte tout seul. Il m’aura fallu une lecture au hasard, sublimée par une expression : « l’ambition morale ».