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Billet de blog 18 novembre 2024

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Le jeu du chifoumerde

Le chifoumerde est une variante du chifoumi qui connait une hausse fulgurante du nombre de ses joueurs, et de leur âge. Peut être l’instant s’y prête, les conditions du moment étant particulièrement favorables à l’émergence de jeux à la con, où les perdants sont toujours les mêmes et les gagnants ne jouent pas.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’ai mis du temps à comprendre les règles du chifoumi. Une pierre qui bat des ciseaux. Ok ça ce se tient. Bon, on voit pas trop l’idée de fracasser une paire de ciseaux avec une pierre, mais personne ne contestera que c’est possible en tapant comme un débile moultes fois. Inversement personne ne contestera qu’une paire de ciseaux échoue à découper la pierre, pas besoin de tester. Celui qui choisit la pierre l’emporte donc sur celui qui choisit la paire de ciseaux.

Par contre la paire de ciseau l’emporte sur la feuille de papier ou de PQ. Là ça parait déjà un peu plus intuitif. N’importe qui a pu déjà tester la chose dans sa jeunesse, durant les inévitables activités de pliage puis découpage. Inversement, on peut toujours essayer de découper une paire de ciseau avec une feuille, on comprend très vite que le projet n’aboutira jamais. Les ciseaux découpent la feuille, et pas l’inverse. Rien à redire.

Et l’on arrive au cas le plus tordu : la feuille qui l’emporte sur la pierre. Là je bugge encore. On dit que la feuille gagne car elle recouvre la pierre. Comme si la pierre ainsi aveuglée s’agitait alors en vain comme un canard sans tête. On pourra m’expliquer que ce n’est qu’un jeu, qu’il ne faut pas trop prêter attention au réalisme de l’affaire. Mais bon moi avec des règles à la con, j’ai pas envie de jouer. OK. Je ne suis quand même pas obtus non plus, je peux comprendre que parfois l’on s’ennuie à mourir, et qu’alors une bonne partie de chifoumi contribue à remplir le vide.

Pourquoi le chifoumi n’est pas complètement débile

Quand même, le jeu du chifoumi a une qualité bien rare. C’est qu’il permet à tout le monde de gagner. Ce n’est quand même pas complètement anodin dans le monde d’aujourd’hui. Certes, la victoire n’a alors rien a voir avec le mérite. Tant pis. Tant mieux (The rise of Meritocraty). Je peux m’entrainer autant de fois que je veux, ça n’améliorera pas mes chances de gagner. D’ailleurs, la meilleure stratégie sera alors de choisir au hasard. Inutile de calculer l’âge du capitaine ou de demander à Chat GPT. Personne ne fera mieux que le hasard, à moins que l’autre joueur soit vraiment transparent et ne trahisse chacune de ses intentions par quelque mimique involontaire. Et puisque le hasard choisit toujours au hasard, on peut donc espérer gagner au chifoumi. Un certain nombre de fois même si l’on rejoue plusieurs parties.

Mais il peut quand même y avoir match nul. Si les choisissent la même chose. Que des pierres par exemple. Pierre contre pierre, ça caillasse mais ça ne gagne pas. Feuille contre feuille, ça fait un rouleau de PQ mais ça ne gagne pas non plus. Même topo pour les ciseaux. Pas grave, On recommence. Et l’ on peut recommencer un certain nombre de fois. Un nombre de fois infini potentiellement. On finit par bailler inévitablement. Le chifoumi devient chifoumou. Mais il y a pire. C’est quand le chifoumi devient chifoumerde.

Le temps du chifoumerde

Imaginez un chifoumi où quoi que vous choisissiez, vous êtes assuré de perdre. Par exemple, « pierre - feuille – ciseau » devient « taxe - chômage - inflation » ou bien « nul - zéro - blaireau », ou encore « recalé, dégage, ta gueule ». Inutile de continuer la liste, on voit l’idée. Pas vraiment un instant récréatif. On préfèrera nettement s’ennuyer que de jouer une telle partie. Problème. On ne nous demande pas notre avis. Il faut jouer. Et perdre. Car personne ne gagne au chifoumerde.

Oui, le chifoumerde je trouve que c’est un petit nom sympa qui résume bien l’affaire. Je disais donc que personne ne gagne au chifoumerde. En effet, quelle que soit l’option retenue parmi les 3 possibles, on est certain qu’elle ne sera pas meilleure que celle des autres joueurs. Il n’y a que des mauvaises réponses au chifoumerde. Car toutes sont engluées dans le même champs lexical, celui où se côtoient les termes de précarité, insolvabilité, invisibilité, etc.

Le chifoumerde semble quand même avoir un avantage mais un seul par rapport au chifoumi. C’est qu’il s’agit d’un jeu certain. On connait le résultat à l’avance. Malheureusement, il est mauvais. On perd à chaque fois. Alors que le chifoumi est un jeu de pur hasard, où l’on peut perdre certes mais aussi gagner. Entre la certitude de perdre ou l’espoir de gagner, l’Homme de la cité a toujours préféré le frisson. Mais l’Homme du contemporain n’a pas ce choix là. A chifoumerde tu joueras, et tu perdras.

Il n’y a que des perdants au chifoumerde. Pour une simple et bonne raison. C’est parce que les gagnants n’y jouent pas. Ils ont ce privilège. Mieux que cela, Ils regardent le spectacle. Ils peuvent même en changer les règles, contribuant alors à la qualité du divertissement qui leur est proposé.

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