J’ai pris un café à 2 euros sans sucre, et sans gobelet. Aucune importance, je voulais pas de café de toute façon. Je suis allé aux toilettes, pas de papier. Pas grave non plus, de toute façon les toilettes étaient bouchées. Je ne suis pas difficile en tant que voyageur. Juste aller du point A au point B. Rouler en attendant que « l’ennui consume ma durée dans un long silence » comme l’Obermann.
Alors je repose mes fesses dans la cabine, ceinture, et c’est reparti. Stop !... un chat, là juste devant moi. Quelle idée un chat sur une aire d’autoroute. A voir sa tronche, il se dit peut - être la même chose en me voyant. Vous avez remarqué ce fait curieux ; quand on est surpris on a la même tête que quand on a l’air con.
J’ai repris la route. De nuit. Horrible. Des camions partout. C’est simple, un camion sur deux était un camion. Et cette lumière aveuglante des gars d’en face. Presque obligé de fermer les yeux pour y voir. Manquait plus que le brouillard ou la pluie. J’ai eu de la chance, juste la pluie. Vous avez déjà vu des essuie glasses genre après le balai c’est pire qu’avant ? C’est marrant mais flippant. Je ralentis. C’est pire. Vois plus rien. Si ! là, je vois une aire d’autoroute. Une autre mais la même.
Je m’arrête. J’attends. Qu’est ce qu’on a l’air con dans une voiture à l’arrêt. J’ai pourtant fait cette expérience un certain nombre de fois dans les embouteillages. Mais on ne s’y habitue jamais. Il n’y a rien de plus absurde que de se trouver dans un engin censé vous faire aller plus vite mais qui se retrouve bloqué par la contingence d’évènements hostiles, tels que l’absence de visibilité, les embouteillages, les feux rouges. Alors je tente de faire diversion. J’allume la radio. J’apprend que Trump a été élu… je rote. Amer hic ? A moins que ce soit le café ? Impossible, je l’ai pas bu. Je sais pas pourquoi j’ai cette réaction. Je vais éteindre la radio. Pas plus mal. Autant écouter la radio éteinte.
Bon. Il pleut toujours. Mais je vais quand même pas passer ma vie sur les aires d’autoroutes. Quand on demandait à Georges Mallory pourquoi il voulait escalader l’Everest, il répondait : « parce que la montagne est là ». Ben moi aussi. Je veux rouler, parce que la route est là.
Et puis j’ai envie de m’arrêter au péage. Une envie à la con. Ca tombe bien puisqu’il faut de toute façon s’y arrêter. Et ce n’est pas que j’ai envie de payer, c’est juste que j’ai envie de voir cette barrière ridicule qui s’élèvera si je le veux et quand je le veux. C’est une envie assez curieuse. Mais sur l’autoroute, il faut rester assez modeste en termes d’envies à satisfaire. Parlons du tarif quand même. On pourra me raconter tout ce qu’on veut, l’inflation blabla. J’ai l’impression que le prix affiché n’arrête pas de grimper. Je suis presque sur que si je repasse dans une heure il aura encore monté. Mais je suis pas si con. Je vais pas le faire. Pas aujourd’hui.
Pensons à être chose. Pas besoin de chercher longtemps. Il y a des choses qui trottent naturellement dans la tête de l’autoroutier. Ce sont les soucis. Impossible de s’en défaire. Et quand y en a qui s’échappe, un autre le remplace. « Les soucis, vous êtes tous là ? », nous rappelle un anonyme sans - abri allemand à l’aube d’une nouvelle journée aussi compliquée que la veille. 1000 km, 10000 km n’y changeront rien. La route n’épuise pas le soucis. Là par exemple, je pense encore à l’essence que j’ai pas mise en partant. Il faut dire que se tromper deux fois de code au moment de payer vous incite fortement a ne pas tenter une troisième. Mais j’ai trouvé une astuce, faire des mini pleins de moins de 50 euros ; paiement sans contact a la caisse. T’as encore l’air con. Mais ca marche.
Bon. C’est long quand même. J’en ai un peu marre de rouler. Les aires c’est bien sympa, mais ça fait pas avancer. Je vais rater la prochaine, ça me donnera l’impression d’aller plus vite peut – être. Et si ça ne vient pas, alors je tenterai de m’élever un peu en citant Jane Austen : « la distance n’est rien si on a un but ». Tiens je vais m’arrêter là, c’est pas mal. Pour de bon.