Je n’ai pas encore vu Barbie. Mais peut être que je peux en parler ?
Moi ce qui m’intéresse dans ce film que je n'ai pas vu, c’est la manière dont il ose. Car on peut oser de bien des manières. De deux manières pour faire simple : la provocation, ou la subversion.
La provocation c’est se curer le nez, la subversion c’est envoyer la boulette sur son boss.
La provocation c’est pisser devant la mairie, la subversion c’est pisser devant le maire.
La provocation c’est se balader à poil dans la rue, la subversion c’est mettre juste une cravate.
Selon la manière dont on ose, la manœuvre sera qualifiée de sincère, engagée donc subversive ; ou gratuite, intéressée donc provoquante. Mais la tâche n’est pas facile. Car les deux audaces appartiennent à la même famille : la transgression. La différence entre la provocation et la subversion est donc assez subtile, mais elle existe.
Cette nuance entre provocation et subversion est d'ailleurs prise très au sérieux par la recherche académique. Ainsi, dans son article dans son article La transgression, entre provocation et subversion, Nathalie Heinich (sociologue) résume parfaitement l’état de l’art :
« La provocation et la subversion qui semblent être à première vue des synonymes incarnent en réalité deux mondes de valeurs. La provocation répond davantage à une volonté d’exhibitionnisme alors que la subversion a pour principe intrinsèque le renversement de l’ordre établi… subversion est connoté positivement témoignant d’un engagement sincère, alors que provocation a une connotation négative dans le sens de l’excès ».
Tout ça pour dire quoi ?
Tout ça pour dire qu’à mon avis, il est bien probable que Barbie soit seulement provoquante, pas subversive. En effet, il me parait impossible que Mattel (maman de Barbie) se soit tiré une balle dans le pied en produisant ce film, ou ait choisi de marquer contre son camp. A moins que les producteurs soient réellement de parfaits abrutis ou suicidaires, ce qu’on ne peut exclure. Mais quand même, il vaut mieux retenir les explications les plus probables.
Et le plus probable c’est que Barbie n’ait pas osé de manière sincère, mais de manière opportuniste.
Qu’aurait – il fallut pour convaincre ?
Une Barbie barbue aurait peut - être été un signe subversif clair par exemple, une condition nécessaire et suffisante pour franchir le Rubicon, plutôt que de passer la tête par la fenêtre d’Overton. Comme si les producteurs avaient saisi dans l’air du temps les conditions favorables à une expression opportune de leur poule aux œufs d’or.
Les images obéissent à nos désirs
Philippe Jaccottet