Le marché de noël ? Je peux pas dire, je n’y suis pas allé. Enfin pas cette année. Mais je connais quand même. Comment aurais- je pu y échapper. Et nul doute que je finirai par craquer cette année encore. Car il est bien difficile de lutter. Chaque jour qui me rapproche de l’échéance est un défi au bon sens. « Comment peux – tu refuser d’aller au marché de noël durant la période de Noël ? ». Il est vrai. C’est un peu comme manger des moules frites sans les moules.
À quoi sert un marché de Noël ? C’est un peu débile comme question. Mais je la pose. J’ai bien essayé de faire l’inventaire des choses à y faire. Au marché de Noël, on peut faire chauffer la CB pour une mini crêpe, une raclette de la veille, un vin chaud tiède, ou claquer la bise au père Noël en intérim. Et si vous avez les mimines engourdies pour payer, ne vous inquiétez pas. « La main guidera la CB, et la CB guidera la main » (Pierre Boudon paraphrasé). Mais j’exagère. On n’est pas obligé non plus de sortir la CB, on peut très bien flâner sans but, la goutte au nez longer les chalets, habillage bois de cagette et structure métallique, croiser des gens qu’on voulait pas forcément croiser, la musique, la déco, tout ça. Sympa.
Mais surtout, il y a un truc qui fait la différence. Et pour cela il faut saluer l’audace des organisateurs. C’est qu’on n’est pas obligé de croire au père Noël pour entrer dans le marché de noël. Il s’agit juste de faire illusion. Vous imaginez s’il fallait passer par un genre de détecteur de mensonges, « levez la main droite et dites je le jure » ou un truc comme ça ? Non. Pas sectaires les organisateurs. Il faut toujours faire preuve d’une complaisance de circonstance avec le client. Il ne croit pas ? C’est son droit. Mais qu’il n’oublie pas sa CB, ou de la monnaie s’il préfère, les chèques aussi ça passe. On m’accusera d’être un pisse - froid. Que je pourrais être moins rigide sur la question. « Ne nous prenons pas au sérieux, il n’y aura aucun survivant », me rappelle Alphonse Allais. OK. C’est vrai qu’il s’agirait de se détendre un peu sur la question. Mais l’abus du mythe irrite.
L’histoire du père Noël on en pense ce qu’on veut, mais on sera tous d’accord pour reconnaitre qu’il s’agit bien d’un mythe. Je n’ai aucun problème avec les mythes, ils sont foireux mais sympathiques, récréatifs. Mais lorsque les mythes anciens sont pervertis par le contemporain, c’est là où ça coince. Il y a corruption. Et c’est bien dommage, car le mythe ancien a au moins cette capacité de nous faire oublier le réel un instant. Mais c’est plus fort que nous. Incapables de produire du mythe, nous recyclons les anciens. Nous leur donnons une seconde vie ce qui est louable, mais en les défigurant.
Je n’ai rien dit. Rien de nouveau. Tout a déjà été dit. Roland Barthes et son steak frites. Mais ce qui est extraordinaire, c’est notre capacité à fouiller dans les poubelles pour toujours en sortir quelque chose d’exploitable, presser jusqu’au bout l’idée de départ, trouver de multiples prises avec le contemporain. On ne peut pas laisser les mythes là où ils sont ? Non, ce serait du gâchis. Une idée tellement chargée en potentialités, ce serait injure que de la laisser à l’imaginaire. Il fallait optimiser l’idée de départ. Le marché de noël n’est pas une invention, c’est une exagération. Une caricature. Le seul père Noël est devenu un euphémisme, il faut sublimer l’instant, en faire un moment de grâce, d’ivresse collective. Toutefois je suis un peu déçu du manque d’audace des organisateurs. En effet, à ce jour je n’ai pas trouvé de traces d’un père Noël sponsorisé par une marque quelconque, qui aurait troqué sa capuche pour une casquette à logo. Je n’ai pas trouvé non plus de père Noël négociant son droit à l’image. Voilà c’était l’humeur du jour.