karl eychenne (avatar)

karl eychenne

Bocal à mouches

Abonné·e de Mediapart

156 Billets

0 Édition

Billet de blog 22 juillet 2025

karl eychenne (avatar)

karl eychenne

Bocal à mouches

Abonné·e de Mediapart

Il n’y a plus d’équivalent moral de la guerre

Curieuse expression. On hésite entre deux lectures, oxymore ou antinomie ? Ni l’un ni l’autre. Cette expression inspirée de William James propose de recycler l’âme guerrière des nations vers des objectifs plus nobles. La transition écologique par exemple. C’est raté.

karl eychenne (avatar)

karl eychenne

Bocal à mouches

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’expression d’« équivalent moral de la guerre » fut inspirée par le philosophe William James en 1910, avant que d’être reprise par d’autres grands penseurs et personnages politiques. L’idée fondatrice était de recycler l’âme guerrière d’une nation, son énergie négative en quelque sorte, vers un objectif plus noble. Car si les conflits armés n’étaient pas souhaitables, certaines vertus leur étaient reconnues. L’esprit de groupe, le projet collectif, voire le sacrifice, le tout animé d’un discours fédérateur par l’autorité en place. Mais une telle lutte pacifique pouvait -elle exister ? Longtemps nous l’avons cru, voire touché du doigt. Mais aujourd’hui, cette idée est retoquée par le réel. Il semble bien qu’il n’existe plus d’équivalent moral de la guerre. L’effort collectif pour une transition énergétique par exemple ne semble plus être considéré comme une option sérieuse. On lui préfère la vraie guerre.

Il est vrai que l’expression d’équivalent moral de la guerre peut paraitre nébuleuse ou naïve. Pourtant, l’Histoire a bien produit des cas présentant de telles caractéristiques. Parmi les plus célèbres, il y eut New Deal du président Roosevelt dans les années 30, marqué par l’instauration de la « Civilian Conservation Corps (CCC) ». Ce programme avait un double objectif : la relance économique et la restauration des ressources naturelles. Sa pleine réalisation convoquait alors les fameuses vertus recherchées d’équivalent moral de la guerre : la discipline, le travail d'équipe, le sens du devoir, et un discours qui fédère. Mais l’illustration la plus célèbre est le fameux discours de Jimmy Carter en 1979. Le président y appelle les américains à une mobilisation morale et collective contre la dépendance au pétrole, qu’il présente comme une menace aussi grave que n’importe quelle guerre. Il cite alors directement l’expression de William James à l’origine de l’idée : « Cet effort difficile sera l'équivalent moral d'une guerre — sauf que nous unirons nos efforts pour construire, non pour détruire ».

Toutefois, l’équivalent moral de la guerre ne doit pas être confondu avec l’idée que nécessité fasse vertu, comme le dit l’adage. En effet, l’équivalent moral de la guerre ne répond pas forcément à l’urgence immédiate, il ne s’agit pas véritablement d’un réflexe de survie. Mais d’une vision de long terme, l’expression d’une forme d’altruisme intergénérationnel. Il s’agit de voir plus loin que l’hostile contingence des évènements présents. Par exemple, les politiques de « quoi qu’il en coûte » qui furent menées en réponse à la crise Covid, ne peuvent pas être considérées comme des formes d’équivalent moral de la guerre. Principalement parce que ces politiques répondaient à l’urgence mais ne proposaient pas de vision de long terme. Et puis peut - être aussi parce que le discours général accompagnant la lutte contre la Covid ne suscita pas une adhésion franche de la part de la population.

Nous ne savons pas gérer les crises lentes

Finalement, un véritable équivalent moral de la guerre doit donc s’inscrire sur le temps long, voir plus loin que la seule urgence de l’instant. Aussi les candidats les plus sérieux comme équivalent moral de la guerre seront principalement les crises lentes. Des crises dont les effets néfastes ne se produisent que sur la durée, de manière imperceptible parfois. Mais des crises qui nécessitent une réaction dès maintenant, afin de circonscrire le mal tant qu’il peut être contenu. Sauf que nous ne savons plus gérer les crises lentes. Elles ne suscitent plus qu’une considération sympathique, récréative, voire de la passivité. On le voit avec la progression inexorable des inégalités, ou de la dette des Etats, ou encore l’illibéralisme rampant des démocraties. Mais il y a pire. Lorsque ces crises lentes finissent susciter le doute, voire des mensonges. C’est aujourd’hui le cas du réchauffement climatique, avec une multiplication des catastrophes et anomalies climatiques qui ne suffisent plus à convaincre. Nous sommes en crise sur tous ces sujets. Et assurément, nous aurions bien besoin des belles vertus d’un équivalent moral de la guerre. Sauf qu’aujourd’hui, sur tous ces sujets, nous reculons. A la place, les énergies sont toutes convoquées pour des fronts se dressant de toute part.

Peut – être cette idée d’équivalent moral de la guerre n’est plus prise au sérieux. Il faut dire que la thèse de William James était osée, et l’illustration alors proposée peut - être pas à la hauteur des enjeux. « Un ours s’approche, j’ai peur, je fuis... à moins que je prenne la fuite parce que j’ai peur ? ». William James penche pour la deuxième explication. C’est la fuite qui cause la peur. Il extrapole alors l’expérience individuelle de l’ours à des cas convoquant la nation toute entière. La guerre. Ce n’est pas la peur qui provoque la guerre, c’est la guerre qui provoque la peur. Nous faisons la guerre pour d’autres raisons que la peur. Et ce sont ces raisons que nous devons remplacer, recycler la nature hostile du genre humain en quelque sorte, cette sale manie de nous nuire à nous même. Trouver un équivalent moral de la guerre. Tel était le projet. Il semblerait que l’Histoire ait d’autres ambitions pour nous.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.