Effacé le temps, effacé la nostalgie, effacé l’espoir, il n’y avait plus d’attente, ni attente de la vie, ni attente de la mort, tout au plus une impatiente attente de l’impatience. Hermann Broch, La mort de Virgile
L’attente ne s’ennuie plus
On ne s’ennuie même plus, car s’ennuyer c’est encore donner un sens à son attente. Comme si je cherchais alors quelque chose à faire, un je ne sais quoi de Jankélévitch. Mais non, c’est autre chose. On ne s’ennuie même plus je dis. Ce qui ne signifie absolument pas que l’on ait trouvé de quoi s’occuper. On hésite alors entre l’absurde de Camus, ou la Nausée de son meilleur ennemi Sartre. Mais non, c’est encore autre chose. Ce n’est pas tant qu’on ne sache pas quoi faire, c’est juste qu’il n’y a rien à savoir que faire. Nous ne nous ennuyons pas. Comment pourrions – nous du reste ? Nous avons tous été équipés pour ne pas nous ennuyer. Nos sens sont câblés sur tout un tas d’objets qui sont presque devenus des prolongements du corps. L’âge de la technique condamne l’ennui à l’exil. Mais est – ce de cet ennui dont l’attente a été évidée ? Non plus. Encore raté. L’attente ne s’ennuie plus. C’est un fait. Mais pourtant, l’attente est encore là. Alors peut – être l’attente espère ? Et non plus.
L’attente n’espère plus.
On attend depuis trop longtemps pour espérer encore. Au bout d’un moment, il devient ridicule d’attendre le bus. Il ne passera plus. Pourtant on y a cru au bus du progrès. On a même cru voir passer le bus du progrès technique. Mais après quelques moments de réflexion, un bon soupir, la lucidité reprend le dessus. Des fusées sur la lune, super. Mais si le prix à payer c’est la bombe nucléaire, le jeu en valait – il la chandelle ? On verra demain. Quant au but du progrès culturel, il y aurait beaucoup à dire et finalement pas grand-chose. Pour couper court, je dirais que ces 50 dernières années n’ont produit aucune œuvre ayant permis d’élever notre manière de penser, de ressentir, de raisonner, de comprendre. Je pense que sinon on s’en serait rendu compte. Mais je veux bien me tromper. Enfin, que dire du bus du progrès moral ? Peut – être faut – il carrément se taire. Et s’il existe quand même un sens de l’Histoire, une vérité finale, idéale, etc. et bien le moins que l’on puisse dire c’est que ce Graal cache bien son jeu. Non, soyons raisonnables. L’attente n’espère plus. C’est un fait. Et cela devrait suffire pour nous désenchanter.
L’attente n’a plus rien à durer
Il faut distinguer le cours du temps et la flèche du temps. Le cours du temps, c’est l’ensemble des évènements qui nous arrivent, et qui se placent les uns après les autres sur la route des instants. La flèche du temps décrit le processus qui survient, les choses qui deviennent autre chose, vieillir par exemple. Mais lorsque l’on dit que l’attente a été vidée de sa substance, cela signifie qu’elle est rendue inapte à parcourir et à devenir, ni cours du temps, ni flèche du temps. Nous nous retrouvons dans la situation exactement opposée à celle du peintre Roman Opalka qui se prenait tous les jours en photo en train de peindre des nombres, et s’imaginait marcher jusqu’à la fin du monde à pieds, tout cela pour tracer son sillon à la fois sur le cours et la flèche du temps. Mais dans notre cas, c’est tout l’inverse donc. L’attente se retrouve comme suspendue à l’instant, pour l’éternité. Elle n’a plus rien à durer. L’attente n’est plus qu’un soupir isolé. Un pet de mouche dans l’obscurité.
Conçu comme ce dans quoi les évènements se succèderont et le devenir se produira, le temps est comme une forme en attente de son contenu
Bruno Grimaldi