
Prenez deux fous qui se parlent, pas sûr qu’ils se comprennent. Curieusement, il se produit le même phénomène chez les sains d’esprits.
Rien ne va plus chez l’Homme qui pense. Il pense trop. « Penser c’est dire non », certes. Mais « penser trop c’est dire m.... ». L’Homme n’est pas fait pour penser autant. Penser à sortir la poubelle, faire le plein, appeler le plombier ou le dentiste, ne sais plus, demander une augmentation, voter… Il mouline sans arrêt le bougre, une boucle informatique sans fin, et personne pour appuyer sur « Echap ».
A force de penser autant, il finit par penser en vrac. Il n’a pas de régulateur de pensées. Tout ce qui passe est bon à penser. Et quand on pense autant, fatalement on pense beaucoup d’âneries. On finit même par en dire certaines, convaincu que l’âne c’est l’autre. De la cucurbite, la pensée blette finit par jaillir en paroles, un déluge de phrases qui dit tout et surtout pas grand-chose.
Effet Casimir inversé
Parler le même langage ne suffit plus à se comprendre. Les fous parlent le langage des fous, mais on n’ira pas jusqu’à dire qu’ils produisent une discussion cohérente. Aujourd’hui c’est au tour des sains d’esprits de produire du vide : un genre d’effet Casimir inversé…
Effet Casimir : un jour un certain Casimir (physicien) s’est aperçu qu’en rapprochant deux plaques séparées par du vide, il finissait par se produire quelque chose : de l’énergie, à partir du vide donc. Et bien dans le cas de nos sains d’esprit en train de discuter, nous avons l’inverse en quelque sorte : du vide (discours oiseux) à partir de l’énergie (mots, phrases, langage).
Toute discussion entre les parties est désormais sans issue. Autant la récuser d’office, la forclore avant l’heure. Les arguments ne sont plus que des ornements au service du plus bavard, tous refusant de plier sous le faix des preuves. Quand un muet parle à un sourd, que voulez – vous qu’il en sorte ?
Et puis il y a cette chose étrange. Cette impossibilité technique d’être à ce point certain de ce que l’on avance, et pourtant en totale contradiction avec ce que l’autre raconte. Il existe un degré de désaccord où la puce à l’oreille devrait être obligatoire.
« On a éteint les Lumières ! » nous prévient celui qui dit que c’était mieux avant. Le même nous rappelle qu’il fut un temps où les mêmes mots sortant des mêmes bouches, instauraient les conditions favorables à l’émergence d’un dialogue. Le fatras d’opinions passait d’un tas au tout, selon la formule de Regis Debray. C’était donc le bon temps puisqu’aujourd’hui c’est le mauvais.
Aujourd’hui, c’est l’impasse ; l’impasse hystérique. On n’essaiera pas d’avoir une approche clinique de la chose. Ici, l’hystérie dont nous parlons est cette exagération généralisée sur tout et rien. Une exagération qui confine à la folie, et prend des formes diverses et variées : obsession, paranoïa, phobie, perversité. Quand on est pas d’accord aujourd’hui, on est tout ça aussi.
L’assemblée en hystérie
L’hystérie n’est plus sous camisole. Elle est en liberté inconditionnelle et sans bracelet électronique, elle peut donc se trouver ici ou là, chez lui chez moi. On dit même qu’elle pourrait bientôt siéger à l’assemblée, prenant la forme d’une éclisse chargée de rapprocher et de maintenir les différents partis ensembles.
On notera que deux hystériques parlementaires qui se parlent, n’avancent pas beaucoup, puisqu’il n’ont rien à se dire. D’où l’idée de blocage, qui nous est vendue comme seul horizon possible des lois proposées.
« Une assemblée pour décider doit avoir un nombre impair, mais 3 c’est déjà trop », Ferdinand Foch
On peut s’en plaindre et s’en réjouir. La démocratie est à ce prix. Pour pouvoir se mettre d’accord, il faut prendre le risque de ne pas l’être.
Parmi les arguments des bloqueurs, celui de la lutte contre l’inflation…
Puisqu’il s’agit un peu partout de lutter contre l’inflation galopante, celle des prix, ici le blocage aurait pour premier effet de lutter contre une autre inflation, celle des lois. En effet, la légiférite, cette manie de légiférer sur tout et rien, est souvent l’expression de qualités bien éloignées du but recherché.
« La multiplicité des lois flatte dans les législateurs deux penchants naturels, le besoin d'agir et le plaisir de se croire nécessaires », Benjamin constant
Et si l’hystérique avait quelque chose à nous dire ?
« Si vous arrivez à comprendre un fou, posez – vous des questions ». Ce conseil d’un ami qui vous veut du bien semble plein de bon sens, mais il ne l’est pas. L’hystérie n’est pas rédhibitoire, la connerie si.
Clément Rosset, le philosophe du réel en double, nous propose une piste. Il faut essayer de comprendre le langage des fous. « Il y a un parler hystérique ou paranoïaque en marge du parler courant, de même qu’en marge du français usuel, il y a un parler basque ou breton »
Peut être l’autre a-t-il réellement quelque chose à nous dire ? Peut être ses glossolalies cachent – elles un message intelligible ? Quand on a rien à dire, souvent on le dit, certes. Mais quand on a quelque chose à dire, parfois on le dit aussi.