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Billet de blog 28 août 2023

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Le bon complotiste

Soyons pragmatiques. Puisque le nombre de complotiste ne cesse de croitre et que rien ne semble pouvoir arrêter le phénomène, que pourrait – on faire pour produire de bons complotistes ? Un genre de bonplotistes à opposer aux conplotistes ?

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Tout le monde a le droit de douter. Et personne ne s’en prive. Mais du doute radical au doute ridicule, il y a le risque de douter de trop. Le risque que le cogito mue en congito.

« J’vois pas de quoi tu parles », fait remarquer le complotiste. Il ne se sent pas du tout concerné. Lui ne doute pas de trop, ni trop peu, il doute juste. Juste ce qu’il faut. Et il doute bien en plus. Tellement bien, qu’il ne peut garder cela pour lui. On peut louer cette attitude. Le complotiste est bienveillant. Mais il se garderait bien de nous imposer son opinion. « Si tu veux rester aveugle, bête, et gober tout ce qu’on dit, c’est ton problème ». La tentation du bien, il connait et ne tombera pas dans le piège. Il est pas con.

Mais le complotiste ne se contente pas de douter. Il accuse aussi. Il accuse celui qui aurait des raisons de nous empêcher de douter. Celui qui a forcément quelque chose à cacher. Et il y a du monde à enfumer ! il faut donc que le menteur exerce un certain pouvoir, économique, politique, intellectuel, afin que le doute n’habite pas le béotien. D’où la nécessaire thèse du complot. Logique. Le complotiste est logique, il procède par déduction (abduction en fait, mais il n’est pas certain qu’il connaisse ce terme). 

Cette capacité de douter mieux que les autres permet au complotiste de voir au-delà des apparences. Pas facile. Mais il y arrive. Il est capable de voir ce qu’il y a derrière le fait, derrière la froide mécanique des lois de la physique, derrière les bizarreries du hasard et de la nécessité. Il est capable de serrer la pince au fantôme de la transparence. Le complotiste voit ce qui nous échappe, ce qui nous leurre, ce qu’on nous cache, donc. Mais le complotiste ne peut pas tout voir. Il a une vie lui aussi. Il ne peut pas nous tenir par la main tout le temps, et passer ses journées à nous frotter les yeux. C’est à nous de faire un petit effort, nous piquer de curiosité, de douter, nous aussi.

Le complotiste a donc tout pour plaire. Mais vu la croissance exponentielle du nombre de représentants, comment choisir le bon ? Comment choisir celui qui doute mieux que les autres ? Celui qui accuse mieux que les autres ? Celui qui complote mieux ? Il s’agit alors de faire la différence entre deux types de complotistes : le conplotiste et le bonplotiste.

Le conplotiste

Il ne faut pas se voiler la face. Il existe malheureusement de mauvais complotistes, qui ne font pas honneur à la profession. Il s’agit de ceux qui opèrent dans l’antichambre de sincères lanceurs l’alerte et autres bons samaritains.

Parmi ces mauvais élèves complotistes, ceux qu’on retrouve le plus sont les maquilleurs. Ils fardent les faits de leurs propres angoisses ou fantasmes, parfois à l’insu de leur plein gré, parfois pas. Ces complotistes s’inventent alors un double du réel qui corresponde à leurs attentes : le philosophe Clément Rosset a popularisé cette idée dans le réel et son double. Le (vrai) réel n’est pas marrant, triste, décevant, il n’a rien à faire ici. On le remplace par un réel plus subtil, plus énigmatique, qu'on nous voilerait d'ignorance.  

D’autres semblent davantage atteints mais sont plus rares, comme ceux qui croient deviner « la secrète noirceur du lait » d’Audiberti. Comme si il y avait un côté obscur derrière les évidences. Très sérieux, il s’agirait potentiellement d’une pathologie dont certains sont affectées, les privant de la capacité de voir ce qui est. Rien à voir avec des aveugles. Ils voient très bien, mais voient autrement : « on veut me faire croire que l’orange est orange, mais je vois bien qu’elle est bleue ». En philosophie, cette bizarrerie est même exploitée à l’extrême avec le cas tordu du spectre inversé, le « malade » voit le noir en blanc, mais l’appelle noir comme tout le monde…   

Et puis il ne faut pas oublier quand même le cas du complotiste qui est juste con. D’ailleurs, il est fort probable que ce soit lui en fait qui représente le gros de la troupe. Mais en l’absence d’études sérieuses sur le sujet, on laissera subsister le doute.

Une fois définis les mauvais complotistes, ou complotistes tout court (la question du substantif est à l’étude), reste à traiter le cas qui nous intéresse : le bon complotiste.

Le bonplotiste

Naïvement, on pourrait se dire qu’il s’agit de complotistes qui complotent mieux que les autres, plus sincèrement, plus scientifiquement. Mais cela ne nous aide pas beaucoup je crois.

Une autre définition plus pragmatique pourrait définir le bon complotiste par celui qui nous veut du bien, au premier sens du terme. Le bon complotiste nous ferait prendre conscience que notre mal être n’est pas anodin. Nous avons raison de nous sentir la tête dans le cul. Nous ne sommes pas des malades imaginaires, nous sommes en bonne santé « imaginaire ». Pire, nous nous aveuglons presque nous – mêmes, nous complotons contre nous même afin de supporter notre triste condition… (Søren Kierkegaard, théologien ou philosophe, au choix).

Ou bien on peut avoir une approche moins ambitieuse, plus minimaliste concernant la définition d’un bon complotiste. On pourrait dire par exemple qu’il est bon non pas parce qu’il dit le vrai, mais qu’il dit le faux avec élégance, ou mieux que ses collègues. Il est plus agréable à entendre en quelque sorte. Parfois même, le charme opère, et l’on se plait à y croire. Tel Mario le magicien de Thomas Mann, cet « hypnotiseur de foire. Il exerce sur son petit public un pouvoir comparable à celui des dictateurs sur les foules ».

Finalement, je ne suis pas sûr qu’on soit bien avancé. Peut – être n’ai – je pas trouvé la bonne définition du bon complotiste, celle qui le distingue du complotiste. Peut – être cette définition n’existe pas. A moins que ce soit le complotiste qui n’existe pas ? Le complotiste serait juste un terme inventé pour accuser celui doute de trop ? Encore un complot ? Le complot des complots, le méta – complot ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je suis pris d’un doute, moi aussi. C’était inévitable.

N’est pas Pyrrhon qui veut. Vite, ma tablette !

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