Que le senior soit moins sujet à l’effort, passe encore. Après tout, « la forme même des pyramides nous apprend que, dès la plus haute antiquité, les ouvriers avaient déjà tendance à en faire de moins en moins », Alphonse Allais. Mais quand même. Comment se fait – il que le senior français en fasse bien moins que ses cousins seniors européens (Eurostat : taux d’emploi des seniors) ?
Le senior français souffre - t -il d’un mal particulier ? Sous l'emprise d'un artifice aux vertus dormitives, comme dirait l'autre ? Un vieillissement spontané justifiant une inaptitude accélérée au travail ? Ou peut – être le prive – t – on d’achever son geste professionnel ? Peut – être l’invite – t – on à se ranger sur le bas – côté afin de ne pas freiner la jeune gent trotte - menu ? Tout est possible. Mais ce n’est pas le sujet de cet article.
Ici, nous nous intéressons aux termes du langage. Car il se trouve que ces termes ont subi une révolution décisive concernant notre senior français. Une révolution qui nous éclaire quant au statut ambigu acquis par cet « actif » putatif.
On ne dit plus… La profession du senior … mais… Le senior de la profession
D’ordinaire, l’inversion des génitifs peut produire quelques curiosités : l’espérance de vie, la vie d’espérance…. le vendeur de rêves, le rêve du vendeur… le pouvoir d’achat, l’achat du pouvoir… D’autre fois, l’inversion tisonne les sens : les taux d’intérêt, l’intérêt des taux… la dette de l’Etat, l’état de la dette… le président de la République, la République du président
Mais dans notre cas, cette inversion des termes laisse perplexe… la profession du senior, le senior de la profession… On n’est pas forcément convaincu. Et pourtant. Cette inversion signifie que le senior a perdu son statut de sujet pour n’être plus qu’une qualité. A sa place, c'est la profession qui acquiert le statut de sujet, un nouveau sujet éventuellement affublé d’une nouvelle qualité (senior). Un tournant linguistique.
Nos amis philosophes ont depuis longtemps un avis sur ces questions langagières qui n’intéressent personne. Pour eux, ce qui arrive à notre senior c’est un peu l’Universel rétrogradé au rang du particulier, l’essence nécessaire reléguée à l’existence contingente, la forme du cercle désormais incarnée par la roue crevée, la couleur verte par la bile à vomir.
Le senior est passé du statut d’intransitif à transitif. Il ne se résume plus à lui-même. Il a désormais besoin d’une profession pour exister. Aujourd’hui, la variable senior se définit par son appartenance ou non à l’ensemble monde du travail. Véritable défi mathématique, sachant que l’ensemble monde du travail est déjà saturé de variables « plus jeunes ».
Le senior est devenu une possibilité. Le senior n’est plus qu’une éventuelle expression du genre humain, de type économicus. Notre senior sera un existant si et seulement si certaines conditions économiques sont réunies. Si oui, alors une place d’actif pourra éventuellement lui être accordée, sous réserve qu’il fasse l’affaire et quelque effort financier. Sinon, bon débarras.
« Et le combat cessa faute de combattants ». Le Cid (1636), IV, 3, Rodrigue