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Billet de blog 29 décembre 2024

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Poète coincé dans les toilettes

Aucune solution. Il se fait tard. Coincé dans les toilettes, le poète est bien pâle. Et ce n’est pas l’odeur, mais la peur.

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Illustration 1

4 murs, 1 cuvette, et un poète confiné. Pourquoi ne pas en parler ? Pourquoi faudrait – il taire le possible ? Le poète n’est-il pas le plus apte à rimer des fesses face à l’absurde situation ? Il cherche, ânonnant quelques vers hésitants. En quête d’une figure de style fulgurante. N’importe quoi, pourvu que ce putain de loquet se débloque.

Nous y sommes. Premier juron d’un poète en perdition. Il craque déjà. Perd pied. Tente de se rattraper. Mais le réel glisse, et la prise est mauvaise. L’heure n’est plus à la rime. Même la prose a le blues. Le poète est en panne d’inspiration. Curieux. Être coincé dans les toilettes produit le même effet que le syndrome de la page blanche.  

La situation est grotesque. Evidemment que tout cela devra forcément bien se terminer. C’est une mauvaise farce. Inutile de dramatiser. Il ne s’agit que d’un confinement ridicule, pas d’euphémisme morbide. Pas question de faire partie du Cercle des poètes disparus.

Mais le poète ne peut s’empêcher de noircir le tableau. D’imaginer le pire. De penser aux confessions d’un enfant du siècle de Musset. « Il y a un danger terrible à savoir ce qui est possible, car l’esprit va toujours plus loin. »

Il faut essayer, encore. Le balai à chiottes par exemple. Peut être pourrait – il servir à déverrouiller la crypte ? Voir à feindre le goupillon, celui là – même aspergeant la porte d’eau bénite afin de l’éclairer d’une lumière céleste ? Non. La situation est déjà assez ridicule. N’y ajoutons pas la bêtise, grommelle notre poète.

Notre poète ne manque pas de panache. Il est fier. Mais surtout, il n’est pas débile. Il sait bien que ce n’est pas un récitant des vers qu’il débloquera ce putain de loquet. Alors, debout sur la cuvette, le poète éructe. Personne ne répond. A moins qu’on ne l’écoute plus.

Il faut tenter autre chose. Le truc improbable. Laisser parler l’imaginaire, l’aléatoire. Se mettre dans des conditions qui restaurent l’inattendu. L’instant surréaliste ? Non. L’écriture automatique requise par l’école de pensée surréaliste est impossible à mettre en œuvre. Trop peu de PQ à disposition.

Le temps passe encore. Le poète essaie depuis trop longtemps. Robert Desnos avait peut être raison. « Voici venir les jours où les œuvres sont veines ». Il est vrai que le poète a l’air bien malin avec ses alexandrins. Pas un pour débloquer ce loquet. Loquet obtus, ou sourd, ou peu réceptif aux effets de langage de notre poète.

Loquet impossible à corrompre. La porte fermée semble livrer un jugement apodictique à qui se trouve du mauvais côté. « Tu ne sortiras point ». L’adiaphorie menace. Faut – il continuer de s’exercer afin de continuer à échouer ? Telle est la question, suggérée par Laurent de Sutter.

Pourtant, les toilettes ne sont pas hostiles. Elles sont une escale, nécessaire. A condition qu’elles soient animées des seules intentions qui l’honorent. Pas de bug technique anxiogène. Comme ce putain de loquet bloqué.

Le téléphone portable ???… Ben non. Pratiquant le survivalisme culturel, notre poète avait décidé qu’il n’en aurait pas besoin. Erreur. On ne choisit pas à la place du hasard. La poisse décide toujours de quelle côté la pièce va tomber. Pas d’appel à un ami donc. Et pas de géolocalisation non plus. Invisible en résumé.

Et pourtant et pourtant. Il avait résisté à tout notre poète. Au politique, à l’économique, à la technique, et même à chat GPT. Finalement, il serait tué par un loquet ? « Ne nous prenons pas au sérieux, il n’y aura aucun survivant », Alphonse Allais

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