Je sais. Vous allez me trouver des gars qui ont vu leurs vœux se réaliser. Mais je n’y crois pas. Je ne vois pas pourquoi je devrais y croire. Le monde est peuplé de gens qui ont des rêves, depuis toujours. Et combien ont vu leurs rêves se réaliser ? Bien trop peu par rapport au nombre de rêveurs. On peut dire que le retour sur investissement du rêveur est quasi – nul. Si la réalisation des rêves était une usine, cela fait longtemps qu’elle aurait mis à la clef sous la porte. Le rêve est une idée qui déborde le possible.
Et il y a un moment particulièrement difficile dans l’entreprise du rêve. C’est l’approche de la nouvelle année. Car on assiste alors à une inflation des rêves, c’est le moment des vœux. Tous se bousculent, se montent les uns sur les autres, sans réaliser qu’il n’y en aura pas pour tout le monde. Mais après tout pourquoi pas. Puisque de toute façon l’échec est au bout, autant se marrer un peu avant. Alors on fait des vœux, toujours les mêmes en général. Les vœux perso, amour gloire et beauté, etc… ou les vœux plus angéliques « je veux que tout le monde il est gentil et qu’il se fasse des bisous ». On ne manque jamais d’imagination pour faire des vœux, et même s’il arrivait qu’on en manque, on peut compter sur la pile des vœux non réalisés des années précédentes.
« J’irai au bout de mes rêves » qui dit l’autre… oui peut - être, vite fait comme ça, sans faire exprès. Il existe forcément un cas ou deux qui est allé au bout de ses rêves. Il a même peut - être eu la conviction d’y être pour quelque chose. Expression d’une méritocratie du rêve, où le talent et l’effort justifient tout le mérite que l’on attribue à la réalisation de vos rêves. La palme à celui qui rêve le mieux, qui y met les formes, l’audace, la niaque… Chapeau l’artiste. A rêver aussi fort, on finit forcément par percer le réel, crever l’oreiller comme dirait le Bashung. Pipeau.
Nous pensons que notre action est plus forte que l’ordre des choses. Nous pensons que nous pouvons faire pour défaire, que la volonté suffit à éliminer les obstacles, à ouvrir les portes, on dit même à soulever les montagnes. Nous croyons à l’enactivisme, cette idée que le monde ne nous est pas donné comme tel, mais qu’il n’appartient qu’à nous de le mouler à la forme de nos rêves. Car nous avons toujours eu le melon, convaincus qu’il y avait quelque chose de plus grand en nous. Quelque chose de nécessaire et suffisant pour nous réveiller plus beau, plus fort, et beaucoup plus intelligent, que les autres.
Mais il faut bien le reconnaitre. Nous sommes bien plus doués pour échouer que pour réussir. Nous faisons même preuve d’une certaine facilité pour ne pas réaliser nos rêves. Il faut dire que si nous sommes si doués pour échouer, c’est parce qu’aucune qualité n’est requise. Nul besoin d’exceller dans la pleutrerie ou le pusillanime, il suffit juste d’être nous-mêmes. Nul besoin de ces gens qui nous voudraient du mal, ces chiens de la Fontaine qui n’éprouveraient aucun plaisir à nous piquer vos rêves, mais qui s’évertueront à nous empêcher de les réaliser.
L’avenir désiré est simplement trop faible par rapport à l’avenir possible. L’incertain du monde ne sera jamais conjuré par nos rêves. Il n’existe pas de gens qui réalisent leurs rêves, il y a juste des rêves qui choisissent des gens pour se réaliser.
« Le vœu feint l’espoir, mais il n’est pas dupe », Manifeste du romantisme contemporain