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Billet de blog 7 juin 2022

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De l'atonie au conditionnement social

Quel sens donner à sa vie si, en définitive, on se sent ramener inéluctablement à sa fin. Ou plutôt, comment faire pour avancer, alors même que où que nous allions, elle adviendra, dans un délai indéterminé. Évidemment que c'est chose humaine [..]

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

"La vie nourrit l'écriture"1, disait LINO2, lyriciste et figure structurante du rap français, dans une intervention à l'ENS. C'est toute la teneur de ce que dit en substance l'avant dernière vidéo3 du Canard Réfractaire sur la place du rap, et comme idéal, et dans la constitution d'un moteur qui, entrainant le mouvement permet par exemple la création d'un média alternatif.

La vie d'autrui nous nourrit, nourrit le mouvement en nous. Je n'irais pas jusqu'à dire que, comme pour certaines tribus autochtones d'Amérique Latine pratiquant l'anthropophagie ou le cannibalisme, que le corps de l'autre comme l'aliénation de la force vitale (exocannibalisme ou endocannibalisme), ou que notre propre consommation carnée, de viande animale, constitue au sens purement calorique une forme d’allégorie.

Je note simplement que c'est déjà l'exemple qui inspire, qui produit par delà les actes commis, un procédé mimétique, un souffle de vie (litt. l'âme).

Illustration 1
Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992) "La Ville dorée ou port illuminé" dét. (1956, huile sur toile) © Maria Helena Vieira da Silva © Photo Denis Trente-Huittessan

Ce matin, durant mon demi sommeil, j'ai été fasciné par la mort.

Pas celle que l'on évoque dans les films, ni celle encore que l'on met en scène, au théâtre. Chacun sait d'ailleurs, que dans le théâtre classique, le mort ne doit, à la différence de tout autre support, ne pas paraitre dans sa cruauté, donnant au metteur en scène une occasion supplémentaire de faire acte de créativité.

Je pensais donc à la mort, dans son sens le plus courant. Comme une fin, égotique.

Je ne vais pas tacher tout de suite de me réprouver, ni même de faire dans la tentative, pour sauver le soldat ici tombé au champ d'Horreur.

Il m'a semblé, lorsque j'y ai pensé, me demander pourquoi, pourquoi celle ci intervient, si différemment, mais toujours inévitablement.

Ou plutôt pourquoi elle semblait si différemment accueillie. Sans tomber seulement dans l'explication purement culturelle.

Encore une fois, hier, en regardant le début d'une vidéo4, de Farine de Blé, un Youtubeur Mécanique, trash/punk/métal, l'extrait utilisé comme incipit, une interview de Charles Bukowski5 6, m'a rappelé comment la mort pouvait être vécue, accueillie aussi comme un soulagement.

Je n'ai pas pu m’empêcher de faire le lien avec un intervenant sur un plateau télé, d'une chaine d'information en continue, qui eu égards au Covid et son traitement politique, expliquait qu'il avait bien vécu, et qu'il ne fallait pas pour le sauver lui, hypothéquer la vie de jeunes gens qui eux avaient "la vie devant eux".

Je n'ai pas pu m’empêcher de faire le lien entre ces mêmes gens qui, étant l’électorat principal7, ont voté Macron au 1er tour de la présidentielle. Ils avaient en moyenne 70 ans et plus. Comment ces mêmes personnes qui avaient pu statistiquement bien vivre, ayant connu les Trente Glorieuses, mai 68, la sécurité sociale, le plein emploi, la retraite à tôt plein, le fonctionnariat et tutti quanti, avaient-ils pu voter pour le candidat de l'ordre, de l'ordre qui voulait faire durer le monde d'avant, encore un peu. Encore assez pour que le déluge ne soit pas vécu par ceux là même qui l'avaient causé. Comme toujours, en référence à la révélation du jour de Mediapart8, il faut que le passé excuse le présent, toujours. Car de présent, il ne reste plus grand chose - du passé. Et que le présent n'existe pas9. Pas encore.

Je pense aussi au documentaire10 d'Ovidie, Le procès du 36, sur l'affaire de viol (à la recherche de la petite mort) d’Émilie Stanton par des policiers de la B.R.I. ("la crème de la crème"), voyant la justice comme l'articulation d'un bras, chargé ou déchargé, d'aller dans le sens de ceux qui sont à servir, aux services, de ceux qui font la Loi11

Alors même que, pour ma part la mort ne m'apparait aujourd’hui que comme quelque chose qui n'a pas encore vraisemblablement de sens. Je ne la vois que comme une sorte d'épée de Damoclès, une assomption qui me fait porter lourdement le poids de l'autre, donc le mien, en me figurant l'impossibilité de vouloir sa mort.

Vous comprenez, par exemple12, cette jeune femme qui est morte, 21 ans, d'une balle dans la tête, passagère d'un véhicule en délit de fuite après un refus d’obtempérer, de la main d'un policier, m'a fait me demander si ce n'était pas une vie gâchée ou même plusieurs.

Que l'on puisse lire par ailleurs, un soutien indéfectible aux FDP/FDO me renvoie de l'autre coté de l'Atlantique, où un certain ex-président13 propose "d'armer les citoyens" pour "combattre le mal de notre société". Lisant des commentateurs qui semblaient appeler de leurs vœux un monde encore moins équitable, réglant à coup de canon le moindre litige. Rappelons ici, au passage, le glissement sémantique de Gardien de la Paix, à force de(du) l'(dé)ordre. "Le problème de la police c'est la justice" "Le problème de la Justice c'est la Loi" "Le problème de la Loi c'est le Politique" "Le problème du politique c'est la guerre civile" "Le problème du civil c'est la police" Rappelons également qu'il est plus sensé d'interdire l’accès aux armes que de prôner la lutte à armes égal. Car la lutte armée n'est jamais égales et qu'elle ne fait que des perdants.

Pareillement, en repensant à toutes ces personnes qui importent leurs idéologies, les desseins qu'elles servent : mourir à la guerre, cela m’étais apparu comme terriblement désespérant. Faisant une rapide rétrospective de ma vie et de tout ce qu'elle comportait, je me demandais comment l'on pouvait oublier que prendre la vie de quelqu'un c'était s'en prendre à la sienne.

Quel sens donner à sa vie si, en définitive, on se sent ramener inéluctablement à sa fin. Ou plutôt, comment faire pour avancer, alors même que où que nous allions, elle adviendra, dans un délai indéterminé. Évidemment que c'est chose humaine. Mais, au même titre que ce que je dis là comme un pléonasme, ne prévient pas la mort que l'on inflige à autrui, n’empêche pas tout un tas de gens de faire tout un tas de choses, qui pour beaucoup relève d'une prise de risque - et ces gens ne sont pas tous ni borderlines ni suicidaires - elle ne remédie pas non plus à notre propre mort.

Évidemment que je repense ici à une expérience de psychologie sociale13, le B.A.R.T. (en anglais pour Baloon Analog Risk Task), test qui permet au moyen d'un ballon de mesurer l'attirance/l'aversion pour le risque d'une personne, rappelant qu'une sensibilité différente nous caractérise tous.

Alors pour aller plus loin, on pourrait aisément penser que c'est aussi bien les expériences, les événements, les aléas de nos vies qui conditionnent notre comportement par rapport à notre environnement. La littérature scientifique et les sciences sociales regorgent de théories en tout genre allant en ce sens.

Mais cela me semble une considération finalement assez faible. Assez faible, parce que la science est descriptive et semble pourtant promis à devenir la nouvelle religion du monde. Celle qui, selon moi, a déjà supplanté la religion comme opium du peuple. En tous les cas de celle qui commande les décisions des pays. Je renvoie le lecteur curieux à Aurélien Barrau et son livre14, De la vérité dans les sciences, ou à Barbara Stiegler, De la démocratie en Pandémie15, qui rappellent pour l'un la place de la science dans nos sociétés et pour l'autre à quel point l'usage du Nudge16 est devenu le prolongement politique de la science. On pourrait évidemment faire mention des courants transhumanistes et techno-progressistes mais il faudrait pour se faire en écrire d'avantage.


11 Trivialité de l'expression. Des Législateurs, et de ceux qui règnent en despotes. Que l'application de celle-ci termine, d'un sens à l'autre, sans discrimination.

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