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Billet de blog 22 juillet 2022

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Kamikaze

Et c’est aussi pour cela que m’est apparu évident pourquoi je ne voulais pas d’enfant. Pour essayer de rompre la malédiction, de l’emporter dans la tombe avec moi, comme un kamikaze... Parce que tu sais aussi bien, voir mieux que moi, comment l’on réagit, l’on se comporte face à l’impossible, on se détruit, on se fait du mal, pour essayer d’avoir prise, pour se rassurer, pour garder le contrôle.

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@monmoidufutur

C'est toujours une certaine douleur que de se quitter.

D'autant plus douloureux lorsque l'on ne s’attend pas à se retrouver.

Ce qui me fait une peine considérable, c'est ce quelque chose de l'ordre de l'émotion, qui me reste dans le bas du ventre.

En travers de la gorge.

Je repense à Fabrice, que je ne connais finalement pas si bien, qui vit sa relation avec nous (un large nous, Lorian, Floriane et la famille étendue Fioric, Claude) comme autant de souvenirs d'un passé flétri, regretté.

J'ai senti de l'émotion dans son témoignage, dans nos échanges. Ces mêmes échanges que j'estime, seuls, capable de nous lier, de nous désunir aussi. J'ai cru voir dans ses yeux où à leurs pourtours se nicher quelques éclats, le symptôme d'un certain émoi.

Il se mordait les lèvres d'avoir peut-être vu, le temps filer comme Lorian, l'incarnation de ce quelque chose de révolu comme Claude, qui n'a plus jamais été le même depuis Magalie et qui, aujourd'hui, ne risque plus de l'être à nouveau.

Peut-être d'avoir raté l'enterrement, aussi.

Bien sûr que je surinterprète et cela me coûte, mais c'est aussi ce qui me rétribue.

Comment ne puis-je pas penser à Aude, qui, il y a 5 ans déjà avait été là. Avait gardé en mémoire ces différents fragments d'un instant commun. Comment avais-je pu l'oublier ?

Et c'est, sans doute, d'autant plus pour cela que j'ai été davantage attentif, à elle. Cette fois-ci.

Comme autant de culpabilité perçue. Ou peut-être plus certainement parce qu'elle est définitivement une personne intéressante. Intéressée ? Donc intéressante !

Je crois que j’entrevois par l'entremise de cette redite, quelque chose qui m'accable parce que je tiens ça pour seul lieu-de-vie. Au sens le plus entier. Où la vie, seule, demeure.

J'étais assez désespéré.

Parce que, comme pour Fabrice je me sentais démuni. Comme pour Fioric que je vois prisonnier de ses démons, de ne plus être le jeune qu'il a toujours pensé être alors qu'il est déjà sexagénaire. Comme pour Claude qui ne cesse de se mourir au côté de Magalie, enchaînant traite après traite le paiement maladif de sa vie. Comme pour Violaine qui semblait, avant que je n'apprenne trop tardivement qu'elle souffrait de sclérose en plaque, ressentir un accablement immense, sans Yves, sans ses enfants, là, seule, toute seule, toute amaigrie... Comme pour finalement la majeure partie des anciens qui étaient ici encore présents. Le seront-ils encore, là, la prochaine fois ? À ceux qui nous tiennent leçon de leur vie, comme autant de tentatives de se raccrocher à celle qui les fuient. À ceux qui, péniblement, sans prétention, attendent déjà la fin de cette dernière. Y aura t'il une prochaine fois pour eux ? Pour nous ? Et si cette fois n'avait pas eu lieu ? Et si le dévouement des organisateurs mue par d'autres passions, en tous les cas entiché à d'autres endroits, n'avait pas rendu cela possible ? Je n'aurais pas ressenti tout cela. J'aurais été ailleurs. Comme cet acte manqué de Natanaël qui se devait d'être au Canada ce jour même en ayant dû partir par avion la veille et qui faute d'organisation suffisante avait échoué dans cet exercice.

Et c'est le sens de tout mon propos ici : qu'est-ce qu'aimer ? Qu'est-ce que cette chose qui semble nous isoler de tout, alors qu'elle nous pousse vers autrui. Lorsque l'émotion de l'autre semble nous y obliger. Parce que l'émotion de l'autre est déjà la nôtre. Mais surtout, que celle ci même, ne l'est pas seulement, elle est déjà une chose qui n'est pas vraiment à l'autre, pas vraiment à soi. Je ne ressens pas quelque chose de précis. Seulement lorsqu'elle s'exerce. Et c'est le manque, la séparation de cette présence qui me fait ressentir, manquer, souffrir.

C'est plus l'affection tout à mon sujet, que l'imaginaire d'un possible qui rend cela vivant. Et c'est une émotion qui semble n'être possible qu'à certaines occasions, que dans des temps circonscrits.

Je commence à comprendre aussi, que c'est peut-être bien, le fait qu'il manque des éléments à notre connaissance mutuelle, qui permettrait l'épanouissement plein d'une émotion épurée de parasites.

C'est donc aussi une certaine construction de l'esprit, un semblant de mirage, de trompe l’œil, holographique.

J'ai aussi parlé avec Sylvain, Yannick, Michel, Pauline, Violaine, Fioric et d'autres.

Mais ce qui pose problème, selon moi, et qui me renvoie à mon questionnement, c'est en quoi ma posture induit ce genre de situation. En quoi, je provoque aussi ce genre de situation ?! Parce que je dois forcément les provoquer. Mais, à l'évidence, très peu y souscrivent. Par certains aspects je retrouve la vraie relation, les seules, que j'ai avec Naomi, Pierrick, Samuel, Karim, Korine, Clotaire. Et d'autres qui n'ont plus voix au chapitre.

C'est assez curieux.

J'étais content de passer du temps dehors. J'ai réalisé à quel point les autres, aussi, me manquaient. Pas au sens où je manque de tout ce que les autres provoquent, mais déjà, c’était ce type de complicité que je recherchais. Qui me fait me sentir vivant. Même si, celle-ci induit au terme des échanges, une descente, un sevrage.

Ce que je recherche, et ce qui rejoint (et finalement a toujours rejoint) l'idéal que j'ai de mes relations aux autres, c'est cette capacité à entretenir de "vrais" échanges. Évidemment, comme avec Clarisse par exemple, ou Khalid, il n'est pas question de sexualité, ni de vie commune, plus d'une idée de vie en commun dans un espace que chacun serait en droit d'occuper à sa guise. Au même titre que les relations familiales (qui sont le plus souvent pour le commun d’entre nous des relations proches : frères, parents, grand-parents) forment ce type d'échange dans son déroulé.

Ce qui me semble assez fascinant c'est l'abstraction que me crée ce type de rapport. Plus rien n'a vraiment d'importance. Et quand je dis plus rien, je parle des occupations de mon quotidien. Les gens qui me sont chers le reste, bien évidemment. Et tout m'amène à les convoquer. C'est seulement, comme dans le traitement d'un problème mathématique, de résolution d'équation, un tête à tête avec de profondes énergies. Notamment celles qui visent peut-être (si ce n'est une croyance, un pis-aller, une excuse, une fuite, une errance, un mensonge) à nous mettre en relation avec la profonde raison de notre existence. Comme quelque part l'expérience spirituelle, mystique, de transe, de la conséquence de l'usage de certains psychotropes, ou même encore de la foi. Lorsque je vis cela, je ne me questionne pas sur la raison de ma présence dans l'existence. Je vis. J'existe. En tout cas, j'ai cette impression d'existence qui me fait également, avec ce spleen, regretter l'impression d'avoir trouvé ma place. Et mon souvenir d'Auxerre y est tout entier dans cette expression.

Être tout entier dans l'existence.

Peut-être faudrait-il ajouter, en conclusion, qu'être "adulte", avoir des enfants, c'est abdiquer sa vie, abdiquer la recherche de la raison de son existence au profit de celle de notre progéniture. Et c'est alors aussi, la fermeture constatée de bon nombre d'opportunités, de contacts et d'échanges avec le monde et donc avec les autres. C'est aussi pour cela que tout semble rigide dans certains échanges. Que tous semblent incapables de porter autre chose qu'un échange stérile et amènent, s'il en était question à nouveau, à leur reproduction invariable.

J'ai aussi une profonde tristesse à cet égard.

Écrit durant les 2h40 du voyage retour.

Il me faut rajouter la décompensation soudaine qui m'est venue avec Korine. Pour simplifier, j’ai réalisé, après qu’elle m’ait fait part de ses réflexions concomitantes à l’appel qu’elle avait eu avec son frère, quelque chose que je savais déjà de longue date, que nous avions travaillé au part avant, à savoir la ressemblance de nos rapports familiaux.

Je m’explique. Lors de leur échange il était question de savoir si Victor, c’est son prénom, était heureux dans sa nouvelle vie, et comme c’était le cas, le soulagement a été double. Il a d’abord été synonyme de réconfort, puis de tristesse.

Ils ont parlé de leurs échanges avec leurs parents et ont convenu qu’un « schéma » se reproduisait sans cesse. Leur mère déficiente dans son rôle de mère du fait de son affection. Leur père dans l’espace, complétant le tableau.

Et c’est bien le terme schéma qui m’a semblé révélateur.

C’est parce que j’ai éprouvé une profonde détresse en voyant au travers de cet exposé, la redite, à venir, en acte, de mon propre schéma familial. Celui-là même que je cherchais à fuir par tous moyens.

C’est aussi pour cela qu’il faut que je développe la conversation que j’ai eu avec Fabrice, introduite plus haut dans le texte.

J’ai à ce moment-là senti que c’était le moment de dire ce que je ressentais à Korine et en commençant à peine à en parler, je me suis mis à éprouver de grands sanglots, profonds.

En fait, c’est comme si tout s’était illuminé dans mon esprit et qu’à la fois la force, la grandeur et surtout la charge se libéraient, me faisant plier sous leur poids.

Avec Fabrice donc, il était question de parler de mon parrain maternel, Claude, qui est donc l’un des frères de ma mère. Nous avons, échanger parce qu’il n’était pas là, et les gens de la tablée demandaient après lui. Mon frère et moi, nous savions profondément les raisons susceptibles de justifier cette absence. Et c’est ainsi que mon frère, avec moins de discernement que moi (il entretient une certaine rancœur personnelle à l’égard de la personne en question) à nommer cette raison : Magalie. Sa compagne de longue date.

Je te raccourcis les détails, mais cette Magalie qui a eu un cancer du sein, a toujours eu tendance à faire scandale lors des réunions de famille - bien avant sa maladie. Mon parrain, a toujours voulu faire le tour du monde en bateau, c’était son rêve. Il a bossé toute sa vie pour ça. Il est ingénieur naval. Et pour rajouter à son calvaire, sa compagne n’en est pas. Ils n’ont pas eu d’enfant et apparemment elle lui en tiendrait rigueur.

J’ai l’impression d’ailleurs à la lumière de ce que je t’écris que c’est certainement pour une toute autre raison que celle sous entendu par ce projet de voyage autour du monde, mais j’y reviendrai.

Il approche de la retraite et, dans sa boite, en tant que cadre mais plus encore, à cause de son ancienneté, il a toujours eu un rôle essentiel dans la bonne santé de celle-ci. Malheureusement puisque sa société a fini par être rachetée par deux incompétents notoires, qui ont fait fortune dans la vente d’un brevet et n’ont de cesse depuis lors d’essayer sans succès, de faire fructifier leur capitaux (une dizaine de boites déjà)...

Bref, il s’est trouvé donc prisonnier d’une situation qui le mettait aux prises avec d’une part sa retraite approchant (et ses illusions perdues) et l’investissement au propre comme au figuré d’une vie dans une activité qu’il devait à présent souffrir de voir détruite, à petit feu. Ce qui devait arriver arriva, il fut pris en grippe par ces nouveaux magnats, et souffrant d’une forme de harcèlement moral fut mis face à l’impossible choix de devoir muter son poste sur Les Sables-d'Olonne (en dehors du fait que ce seul choix semble intenable au seul regard de sa situation de couple) et la nécessité de continuer l’exercice de sa pratique au bureau d’étude de Douarnenez...

Il a donc fini par être en arrêt maladie, avec une procédure de licenciement au prudhomme... Et les fameux cachets qui vont avec, évidemment...et la thérapie...

Bref.

J'ai donc résumé tout cela en creux à Fabrice, sur cette tablée à présent médusée (nous étions à ce moment 10 sur cette table, sachant que nous comptions le modeste nombre total de 64 personnes en tout et pour tout à cette « cousinade »).

Et Fabrice, qui est un cousin de longue date des frères (et sœur : ma mère du coup), regretta l’époque bénie où ils étaient jeunes, de beaux et bons souvenirs derrière eux, des émotions et des rêves plein les poches.

Il ajouta, qu’il n’aimait pas parler dans le dos des gens, ni même d’ailleurs en dire du mal tout court. Ce à quoi, Clotaire surenchérissait. Ce qui força Fabrice à sortir de sa réserve, et d’avouer qu’il avait bien entendu partagé ce même constat, qu’il le déplorait, comme nous tous. Avec déjà une émotion qui semblait perceptible.

Puis, j’ajoutai dans un continuum, que le plus grave, c’est que ces (ses) problèmes remontait à avant, à mes grands-parents, à ce divorce qui dure depuis toujours, aussi loin que je me souvienne il en a toujours été question (ma grand-mère et mon grand-père se sont séparer alors que mes enfants étaient encore jeunes... Je laisse le lapsus tel quel, qui traduit en substance là où je viens... Je passe les détails des raisons de leur séparation, qui certes scabreuses ne constituent malheureusement pas la cause première de toute cette merde) et pire, que les enfances de mes grands-parents respectifs étaient en cause, s’étant tour à tour épanché à mon oreille, étant même d’une certaine manière le héraut de tous leurs non-dits... me commanda de le rappeler aux oreilles de nos spectateurs médusés...

Et c’est ainsi, que Fabrice, tout ému encore, interloqué, me dit de manière inexacte, ne trouvant comment dire ce qu’il ressentait, qu’il ne comprenait pas. Qu’il ne comprenait pas que nous soyons mêlés à tout ça. Et moi de rajouter en lui tapotant le dos alors qu’il semblait avoir la larme à l’œil, qu’il fallait qu’il sache qu’on en avait vu d’autres, notamment avec Lorian (mon père)... Et on fut interrompu, par un des contemporains de table, qui trouvait l’atmosphère trop lourde alors même que sa femme semblant, elle, au contraire, prête à relancer quelque chose pour nous aider. Je passe le fait que ce moment a été un peu plus long qu’une phrase, en vérité on a tourné autour, un peu, et je passais mon temps à lui masser le dos. C’est con, mais j’avais envie de lui dire je t’aime, que je l’aimais... je ne l’ai pas fait évidemment... trop idiot que je suis.

Et puis aussi, un élément de comparaison d’entre Fabrice et sa femme Nadège qui semblaient avoir compris de manière parcellaire les raisons du malaise de Claude par rapport à son travail, parce qu’ils avaient eux-même vécu (travaillant dans la même boite depuis toujours) une situation de licenciement économique, une nécessité à déménager, qui plus est avec des enfants en bas âge... j’ai essayé de leur dire que je les avais entendu, et que je ne balayais pas ça d’un revers de main, mais qu’il semblait seulement que la situation n’était pas tout à fait la même ici.

Bref.

En fait, Fabrice voulait me dire, et c’est donc ce que j’ai compris avec Korine qui m'écoutait, en en parlant avec elle - entre deux sanglots, j’ai compris ce qu’il m’avait dit mais que je n’avais pas entendu, ou compris sur l'instant, peut-être du fait même de l’habitude ou simplement par manque de temps et de précision - cf l’interruption ci-dessus.

Il me disait, qu’un parent, protège ses enfants, de ça, surtout.

Et pour cause, il m’avait parlé de ses propres enfants qui semblaient à ses yeux, à mille lieux de notre situation. Évidemment j’ai fini, dans ma tête et avec Korine, par tempérer cette analyse en me rangeant derrière l’idée que ce n’était que sa vision et qu’il y avait de toute manière toujours des trous dans la raquette.

Bref.

Ça a fait tilt donc et mon épanchement diluvien, au propre comme au figuré s'expliquait alors ! Je manquais de ça. Je voulais à ce moment précis, vivre. Libéré de ce fardeau. Fardeau qui ne m’appartenait pas. J’ai compilé tout ça, sur plusieurs générations, et malgré tout, je me disais aussi qu’il me manquait des bouts, qu’il fallait que j’en parle à d’autres pour résoudre l’énigme. Mais aussi, que personne ne pouvait résoudre ça, que personne avant moi ne l’avait pu, et que quelque part c’était aussi ça mon malheur, mon hubris, que de penser être capable de faire ce que personne n’avait fait auparavant. De faire, de mon temps, de ma vie, par responsabilité, parce que j’étais l’adulte dans la pièce (Adults in the Room, de Costa-Gavras), de faire ce qui n’avait pas été fait par autrui. Ni par les parents de mes grands-parents, ni par mes grands-parents, ni par mes propres parents... Et c’est aussi pour cela que m’est apparu évident pourquoi je ne voulais pas d’enfant. Pour essayer de rompre la malédiction, de l’emporter dans la tombe avec moi, comme un kamikaze... Parce que tu sais aussi bien, voir mieux que moi, comment l’on réagit, l’on se comporte face à l’impossible, on se détruit, on se fait du mal, pour essayer d’avoir prise, pour se rassurer, pour garder le contrôle.

Et donc j'en reviens à Claude qui pour rappeler ici son choix de ne pas avoir eu d’enfant, que je pense, en un sens, partage les mêmes raisons que moi.

Écrit le 19/07/22

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