S'il y a bien quelque chose qui sonne à notre porte, c'est cette sensation que le monde qui nous entoure s'écroule peu à peu.
Je me suis réveillé ce matin, sans pouvoir dire à quel département correspondait le 92. Je savais profondément que c'était celui de ma naissance, mais je ne pouvais pas savoir le nom qui lui était associé. Et pour cause. J'étais dans un rêve, un rêve qui me mettait aux prises avec une forme de thérapie, une séance avec Carlos Tinoco. J'essayais au travers d'un échange de répondre à des questions et m'avachissant sur le bureau qui me séparait de lui, je m’enfonçais peu à peu dans le mutisme. Je sentais une forme de tristesse sourdre, je sentais les larmes gagner ma gorge, j'avais senti qu'il me fallait m'interrompre pour reprendre une certaine contenance. Et, cela ne lui avait pas échappé.
Il m'avait flatté pour m'avoir entendu, me disant que c'était ma place, que de prendre cette parole et de l'affirmer, car vraisemblablement s’exposa alors, une clarté manifeste, une énergie, une évidence.
Je continuais lamentable, à feuilleter une sorte de cahier de brouillon, noirci de sombres dessins, entrecoupé de pages barbouillées de lignes, d'autres de phrases.
Il m'avait demandé quelque chose, il m'avait dit quelque chose en rapport avec la taille de mon intestin et s'était mis à observer frénétiquement un cahier sur lequel semblait inscrit la corrélation de son assertion avec un graphique représentant la carte de France, pourvu de différentes colorations, morcelé de chiffres, tel le PowerPoint d’entreprise de la réunion du jeudi. Sur cette fiche, un pourcentage de chance d'être tel ou tel semblait indiquer, comme dans un horoscope, la génétique explicative de mon trouble s’y trouvant inscrit là, quelque part. La nécessité de connaitre le nom du département de ma naissance semblait primordial dans la réussite de cette entreprise. Et, malgré le fait que je savais déceler le chiffre correspondant, impossible alors de ne trouver autre chose à dire, lui même ne sachant m’aider, que Seine-et-Marne ou dans un dernier souffle, l'Essonne... Je me réveillai.
De nombreuses choses semblent animer mon quotidien ces derniers temps.
L'impression de plus en plus certaine que j'attends, j'attends le moment où il y aura quelque chose à faire. Pour servir, quelque chose de plus grand que soi. Pour l'heure, ce qui est plus grand, c'est tout ce qui m'entoure. Un rapport au monde assez enfantin je dois dire. Parce qu'on semble perdre cette approche en grandissant. A moins, encore, que ce ne soit une fantaisie de mon imagination, qui me ferait croire que l'autre a en lui des ressources qui lui confèrerait la capacité à s'affranchir vertement des contraintes de l'Esprit1.
Je pense bien sûr à ce que j'ai déjà dit par ailleurs, au monde qui s'écroule ou qui brûle - c'est selon - et la relative permanence de la trame générale des choses. A tel point, que l'on se demande si finalement, l'autre, ce n'est plus seulement celui qui est hors le monde, mais finalement, celui qui fait sien, après effraction, le monde dont il semblait lui même ici dérobé.
Je parle évidemment du petit capitaliste, de l'influenceur, du journaliste de plateau télé, de l'homme politique... et j'en passe. Tout ce petit monde, tout petit monde, qui en définitive possède un pouvoir de destruction sans égal, bâtit au salaire2 du sang et des lames de fond du Monde, qui le souffre et le pourvoit.

Il est à se demander si, par hasard, la hausse du niveau de scolarisation, d’alphabétisation, d’accès à l'information n’a pas finit par créer pour les gouvernants un problème. En vérité, un problème antédiluvien, comme semble le rappeler quelque part la vidéo de Linguisticae sur l'Académie Française.
Ou plus proche de nous dans le temps, la nomination de la nouvelle présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, la cause reviendrait au retrait de la candidature du Rassemblement National ayant permis un déport de voix3 qui témoigne des arrangements politiciens4.
Plus encore, quelque chose m'a frappé. J'ai fini par revenir vers Blast, avec la sortie en exclusivité de l'interview d'Abdoullah Zouhair, ancien conseiller du Bureau International du Travail pour les pays arabes et du Moyen-Orient, qui témoignait du court-circuitage par le Qatar, des instances en charge d'appliquer un contrôle sur les normes de travail relatives aux chartes de l'ONU, déclaration qui éclaire pour partie les différentes révélations sur les conditions déplorables de travail, d’hébergement et de rémunération des ouvriers en charge de la construction à marche forcée des stades et infrastructures pour pourvoir à la réception de la coupe du monde de football en novembre 2022 au Qatar.
Je me suis questionné sur la source de sa probité car si l'on peut facilement suspecter, ce qu'il confirmera par ailleurs, son sentiment d'appartenance et ou son origine sociale, en revanche c'est dans le rapport filial qu'il expose toute la teneur de son engagement par ce modeste mais non moins extraordinaire événement que son père aura vécu, en choisissant au péril de sa vie de libérer un esclave de son servage et d'en avoir gardé la chaine comme symbole expiatoire, l'ayant légué par la suite à son fils, qui lui même pensant perpétuer le legs en en faisant don pour les 100 ans de l'organisation comme symbole d'affranchissement que semblait revêtir sa mission.
Las.
C'est à la fois terrible et magnifique. Terrible parce que c'est finalement si peu reconnu, en ce que cela est véritablement, c'est pourtant si magnifique comme toutes ses vidéos qui s'intitulent en anglais random acts of kindness ou that will restore your faith in humanity, que l'on pourrait traduire par actes de générosité spontanés - et - qui vont vous faire regagner foi en l'humanité. Ces mêmes vidéos que l'on ne manquera pas de reconnaitre comme autant de témoignages (voir commentaires sous celles-ci) d'une égale reconnaissance de l'individu dans ces actes qui semblent au demeurant n'exister plus qu'au travers d'un ex-voto.
C'est là le réel fondement du chaos ambiant. Est porté aux nues ce qui n'est en réalité rien, ou artificiel, monétisable ou contraint. Est négligé, ramené à une simple formalité ce qui n'a pas de valeur marchande, bien qu'elle soit le sel de la vie, son expression la plus entière. Il y a bien un commerce de l'émotion et donc une saturation des sens du "citoyen moderne". On vous alpague dans la rue pour vous soutirer une larme, une pièce, un peu de votre temps ; on vous demande de signer une pétition, on vous demande de l'argent, on vous dévisage et vous conspue. Vous êtes un rouage, un rouage qui fait l'économie du temps, qui fait l'économie de la considération et de l’altérité.
Évidemment que la situation est plus complexe que cela, mais ce que vous avez vu poindre parfois dans les villes de grande taille, gangrène à présent l'espace d'internet : Des courriers indésirables en passant par les arnaques téléphoniques, du hameçonnage au rançonnage, des fenêtres publicitaires intempestives et les placements de produits à gogo, les titres racoleurs et surannés, les demandes de financement participatif et autres campagnes d'un commerce toujours plus débridé emplissent nos espaces communs. Rognant sur notre vie, s'en nourrissent. Jadis, ce fameux temps de cerveau disponible s'est aujourd’hui recombiné à l’immiscion toujours plus intime de nos rapports à la marchandise, notre espace de liberté est de plus en plus atrophié par la présence de ses différents représentants, les données personnelles en sont un éminent symptôme, ce que l'on vend de soi est de plus en plus important. Hier il ne fallait vendre "que" son labeur, un temps donné dans la semaine en échange d'une promesse ; maintenant c'est à temps plein pour nombre d'entre nous car le loisir, la santé, l'éducation, la rencontre sont autant de lieux phagocytés par le marchandage. Ce qui aura permis de pousser l’idéologie d'un État qui peut se dégager de ses responsabilités, d'un État dissolut, qui ne se définit plus à l'aune de nos appartenances communes mais bien de nos différences, différences qui sont autant d’occasions de nous vendre encore et toujours plus de choses, jusqu'à ce que l'on doivent, pour finir, se vendre de soi toujours un peu plus.

1L'esprit pouvant s'entendre au sens d'un rapport à la religion ou comme dans une forme de commandement agnostique, de sur-moi, de considérable, comme la valeur supérieure d'un autre à nous même - ou encore la valeur réfléchie de soi même dans l'autre.
2Salaire : du sel